1. Enfin !

    16 septembre 20232 minutes

    Enfin, nous partons pour l'aéroport ! Déjà deux fois, l'agence nous a appelé pour reporter la date d'arrivée ! La première fois une histoire de visa en retard (comprendre qu'un bakchich manquait quelque part ou n'avait pas été bien estimé…). La deuxième fois un vaccin devenu obligatoire pour l'entrée en France à cause du premier report ! Mais là, c'est aujourd'hui ! Nous sommes prêts plutôt trois fois qu'une et nous sommes partis bien à l'heure. En fait nous étions si anxieux et nous avons prévu de la marge sur la marge et nous sommes arrivés plus de deux heures en avance. Nous avons attendu dans le grand hall des arrivées, incapables de nous détendre. Les yeux fixés sur le tableau des horaires, redoutant jusqu'au dernier moment un retard supplémentaire ! Enfin, Vivianne, notre interlocutrice depuis les 6 ans que nous avons emprunté le sinueux chemin de l'adoption est arrivée en avance (une avance raisonnable de vingt minutes) et son bavardage professionnel et bienveillant nous a aidé à passer les dernières minutes. Viviane nous a emmené dans un petit salon privé, prévu à cet effet. Nous apprécions de ne pas être mêlés à la foule des voyageurs arrivant et de tous ceux venus les chercher. Malgré l'invitation répétée de nous asseoir, nous restons debout, tendus, face à la porte. Enfin ! la porte s'ouvre et une hôtesse de l'air entre en tenant par la main un petit garçon. Notre petit garçon ! Elle est suivie de deux hommes en uniforme, à l'air sévère, qui s'interposent entre l'enfant et nous. Ils ne parlent pas français et nous tendent une liasse de papier de façon insistante, presque menaçante. Vivianne, qui a l'habitude, prend les choses (et les laisses) en main. Elle nous indique les bas de page et les cadres où nous devons signer. Elle trie les papier en deux exemplaires, l'un pour les douaniers qui s'es saisissent et disparaissent sans le moindre signe de politesse, et l'autre pour nous. Elle le garde en main en constatant que nous ne regardons que notre fils. L'hôtesse de l'air s'est éclipsée sans que nous ne sous en soyons aperçu. Vivianne s'est reculée discrètement dans un coin. Enfin, nous sommes face à face.

    1. Atelier
  2. Lettre sur l'exposition coloniale de 1931

    08 août 20232 minutes

    Chère Marguerite, J'ai tant de choses à te raconter et si peu de temps ! Tu vas regretter de t'être moqué de la radinerie de Marcel. Figure toi qu'il avait 2 billets pour l'exposition coloniale ! Nous y sommes allés dimanche, il est passé me prendre à 7h, imagines-tu comme j'ai dû me dépêcher. Mais il avait raison. Quand nous sommes arrivés, pour l'ouverture, une belle file d'attente était déjà constituée. Mais ce n'était pas ennuyeux, déjà, nous pouvions admirer les plus grandes constructions : minarets blancs, clochers bruns du temple d'Angkor. Les personnes parlaient entre elles, se recommandant tel ou tel stand. Une fois entrée, nous ne savions plus où donner de la tête, les couleurs, les odeurs, les bruits, le monde ! J'ai été éblouie, nous ne voyagerons jamais si loin et bien sûr jamais dans tant d'endroits différents ! De l'Asie à l'Afrique, de l'Amérique à l'Océanie. Nous avons croisé des dromadaires qui promenaient des visiteurs, nous avons goûté des jus de fruits étranges (mangue, kiwi : je ne suis pas sûre de l'orthographe) et mangé des plats dont nous ne connaissions pas les ingrédients mais tous parfumés ou épicés. Nous n'avons pas pu tout voir car pour entrer dans les pavillons, une attente plus ou moins longue était inévitable. Nous avons privilégié les colonies françaises (quand même) : les Antilles et l'AOF. Dans ce bâtiment, des colons venaient nous parler de leur vie là-bas et cela semblait paradisiaque : de grandes maisons, des serviteurs souriants, des possibilités de promotions rapides. M. Dupont connaissait Marcel (j'ai découvert que c'est lui qui avait procuré les billets à Marcel, finalement tu as peut-être raison pour la radinerie) et avait préparé tout un dossier pour un contrat de travail au Soudan. Imagine ma surprise ! Marcel avait l'air de penser que je serai enthousiaste et ravie. Je dois reconnaître que j'avais un peu d'appréhension. M. Dupont nous a retenu à dîner au souk reconstitué près du lac Daumesnil et nous avons pu ainsi profiter des éclairages féériques à la nuit tombée. J'aurais tellement aimé partager cette journée avec toi. Depuis Marcel parle de plus en plus d'émigration et je suis perplexe. M. Dupont a promis d'inviter mes parents à l'exposition et si tu es rentrée, je pourrai t'avoir un billet aussi. On peut dire que le gouvernement soigne les candidats à la colonisation ! J'ai hâte d'avoir tes impressions et tes avis. Je t'embrasse Charlotte

    1. France
    2. Musée/Expo
    3. Paris
  3. Promenade quotidienne

    17 juin 20234 minutes

    Nous ne sommes pas encore sortis ce matin et j'aimerais bien y aller maintenant. Je me lève et vais dans sa chambre pour voir où il en est. ouf, il ajuste sa cravate devant le miroir, le dernier geste qu'il effectue dans cette pièce. Toutes les odeurs de nuit sont encore présentes. Il n'a pas ouvert la fenêtre aujourd'hui. Je sens avec certitude que sa nuit a été agitée, peu de sommeil, beaucoup de mouvements. Je recule précipitamment quand il s'avance. S'il me parle, on n'est pas sorti ! J'attrape la laisse qu'il pose toujours au même endroit. Je n'aime pas son goût. Je préférais celle en cuir que j'ai cassée à force de la mordiller. Je la mordille quand même, histoire de laisser ma marque. Heureusement il fait suffisamment chaud pour que mon maître n'ait pas besoin de manteau ! Cela lui demande tant d'efforts maintenant. Je me souviens encore du temps où il enfilait sa veste d'une main, ouvrait la porte de l'autre et tenait la laisse dans sa bouche ! Comme nous sortions vite et comme nous allions loin alors. Aujourd'hui, l'ouverture de la porte nécessite plusieurs essais et la fermeture aussi. Enfin, nous sommes dehors. Je hume et reconnais mon domaine. Les arbres de la place en fleurs, les odeurs des différents voisins, voisines, du chat de la villa au 3, du vélo du garçonnet du 5 (qui est encore tombé, si j'identifie correctement ce léger parfum de sang enfantin). Ma truffe me guide vers l'urine du petit caniche d'à côté. Oh, je ne l'aime pas celui-là ! Il passe son temps à criailler, à tirer sur la laisse ou au contraire à s'arcbouter juste pour contrarier sa maîtresse. Je commence par effacer ses marques par les miennes. D'une certaine façon, je reprends possession de ma place. Elle m'appartient depuis que je suis un chiot ! J'étais le seul animal du coin à l'époque (les oiseaux ne comptent pas). Maintenant les chiens ou chats que je croise sont juste de passage, à part le chat du 3 et l'horrible caniche. Je sens la laisse qui se tend. Je me retourne, mon maître salue l'homme du 2. Il est souvent à sa fenêtre et je l'aime bien. Il arrive souvent à rendre le sourire à mon maître. Nous ne le croisons jamais dehors, soit il ne sort pas, soit il n'a pas les mêmes horaires. Parce que nous, nous avons des horaires immuables : le matin jusqu'à la boulangerie, fin de matinée, le bar pour un apéro, milieu d'après-midi le parc et en soirée le tour de la place. Tous les jours de l'année et quelque soit le temps et depuis plusieurs années ! Je me souviens de trajets en voiture, de courses éperdues en forêt. Oh la forêt, quel bouquet d'odeurs, quel feu d'artifice de senteurs ! Que de découvertes, N'avais-je pas réussi, après tant d'échecs, à saisir du bout des dents la queue d'un lézard qui me l'a laissée pour s'enfuir ! Caoutchouteux et sans goût, la traque s'était révélée bien plus intéressante que la prise. Une autre fois, improbable, j'avais attrapé un lapin ! Mais mon maître m'a ordonné de le lâcher. J'ai hésité un moment à obéir mais son neveu de 5 ans était avec nous et semblait bouleversé, alors j'ai laissé le lapin repartir en titubant. La laisse se détend, signe que nous repartons. Je marque consciencieusement mon territoire à chaque lampadaire, chaque portail, chaque poteau, partout. La laisse se tend à nouveau, cette fois il ne s'est pas arrêté, simplement il marche lentement. Je constate qu'il est essoufflé alors je m'assieds et je fais mine de m'intéresser aux oiseaux qui se sont posés dans le jardin derrière la grille. En fait, avec les années, j'ai perdu l'envie de me précipiter en aboyant juste pour le plaisir de les voir s'envoler dans des pépiements indignés. De pauses en pas prudents nous atteignons le magasin. Mon maître commence par se pencher pour attacher la laisse mais il renonce et la pose sur l'appui de fenêtre, à sa hauteur. Je ne bougerai pas quelle que soit le temps d'attente. Je ne voudrais pas l'obliger à se baisser pour ramasser cette laisse. Quand il sort de la boulangerie, le moment préféré de la promenade arrive. Il s'assied sur le banc le plus proche, il me gratte derrière les oreilles en me parlant. Moi je fonds littéralement, je le regarde avec adoration et ma queue bat le rythme de notre amour. Douze ans que nous sommes ensembles, douze ans de bonheur et de tristesse partagées. Oh mon maître !

    1. Atelier
  4. Attention au départ

    13 mai 20233 minutes

    Presque tous les ans, nous nus retrouvons entre amis de la même promo, celle de mon mari pour être exact. Comme souvent le group initial s'est constitué sur des points communs forts. En l'occurrence, tous les garçons sont fils d'agriculteurs (ou assimilé pour le fils du garde forestier). Ils viennent des quatre coin de la France : des Pyrénées au Nord, de la Bretagne à la Bourgogne sans oublier l'Ardèche ! En général, nous louons un gîte dans l'une des régions précitées et le régional de l'étape prévoit des activités : baignades, vélo, village pittoresque, marché local,... Au fur et à mesure le groupe s'est enrichi de femmes et d'enfants. L'alchimie a bien fonctionné et nous étions souvent plus d'une vingtaine ! Les enfants ont évidemment modifié les activités et, souvent, les plus sportifs partaient ensembles tandis que les autres s'occupaient des plus jeunes. Tout ce petit monde se retrouvait aux repas joyeux, bruyants et bien arrosés. Une année, un groupe partit à vélo tôt l matin, les autres moins pressés, prenant un petit train omnibus sympathique. Si je me souviens bien, nous étions cinq adultes pour onze enfants étagés de six mois à dix ans. Quand le train s'arrêta à la petite station où nous devions descendre, le désordre fut à son comble. Quelques adultes étaient descendus puis les enfants et je vérifiais que nous n'avions rien laissé avant de descendre à mon tour. Un doudou malicieux caché sous une banquette me retarda… un peu trop ! J'entendis le sifflet du chef de gare, les portes claquer et le train s'ébranla en grinçant. Sur le quai, je vis l'air ahuri des adultes, hilare des enfants les plus grands et paniqué des 2 miens. Je n'étais pas inquiète pour eux, ils étaient en bonne compagnie. Cependant, je me demandais comment j'allais pouvoir rejoindre mes amis et d'ailleurs, je ne savais même pas quel était le prochain arrêt. Je cherchais donc le contrôleur, introuvable ! Les quelques passagers étaient des habitants du coin et ils s'étaient beaucoup amusés de notre compagnie et plus encore de ma mésaventure. Ils me renseignèrent avec une gentillesse légèrement railleuse. Comme ce petit train s'arrêtait souvent, je pus descendre à...trente kilomètres de la station précédente. Un jeune collégien, attendu par ses parents, proposa de me ramener dans la bonne direction sur douze kilomètres. De plus une fois arrivé dans sa ferme, il promit d'appeler le restaurant où nous avions réservé. Dix-huit kilomètres à pied, c'était faisable mais il me faudrait beaucoup de temps… et j'aurais faim ! Je remerciais le jeune homme et sa mère et me mis en route (en même temps je n'vais pas d'autre choix). Serrant le fameux doudou dans ma main, je marchais depuis un peu plus d'une heure, quand une voiture qui arrivait en face, s'arrêta à ma hauteur. La conductrice connaissait bien René, le local de notre bande, et avertie par la restauratrice, elle était venue me chercher. Quand j'arrivai au restaurant, sans trop de retard, un hourra m'accueillit, les enfants se précipitèrent vers moi et l'hôtelier m'offrit l'apéritif !

    1. Atelier
  5. Singulier mystère que le souvenir

    26 février 20233 minutes

    Singulier mystère que le souvenir. J'avais un voisin qui me disait des choses absurdes. Voilà qu'un jour il m'explique le plus sérieusement du monde que son tas de bûches est infesté d'elfes ! Et pas n'importe quels elfes : des elfes forestiers ! J'exprime une vague compassion de politesse et me sauve. Après tout il m'avait déjà parlé des elfes jardiniers dont il n'avait pu se débarrasser qu'en arrachant toutes ses fleurs et des elfes d'eau douce qui avaient envahi son plan d'eau qu'il avait dû vider ! Tous ces souvenirs me sont revenus ce matin quand j'ai entendu des petites voix aigues et malveillantes sortir de mon tas de bois tiré au cordeau sous l'appentis. Trop aigues pour être intelligibles mais très gênantes ! Un peu perturbée par ces piaillements et ces réminiscences, je secouais la tête, pris les bûches dont j'avais besoin et rentrais à la maison. En novembre quoi de plus réconfortant qu'un bon feu dans la cheminée. J'empilai papier petit bois, brindilles et bûches puis craquai l'allumette. En même temps que les flammes prenaient de l'ampleur en ronflant, je vis, ou crus voir, une étincelle sauter hors du foyer et filer dehors en passant par la chatière. Je décidai que j'avais beaucoup d'imagination et me fit un thé. Malgré une nuit sans rêve et reposante, j'hésitais à retourner vers mon tas de bois. Avais-je vraiment besoin d'une flambée chaque jour ? J'essayais de me souvenir de mon voisin farfelu, il parlait souvent des elfes, de leur vie en petite tribu, de leur nomadisme, de leur espièglerie. Je ne savais plus si il avait réussi à se débarrasser aussi des elfes forestiers. Quand ma fille vint me voir le dimanche, je prétextais un peu de fatigue pour qu'elle m'apporte des bûches jusqu'à la maison. Elle revint avec une dizaine de bûches et une contusion à la main. En riant, elle maudit sa maladresse : "une bûche m'a échappé, on aurait dit qu'elle était vivante". Cela ne me rassura pas du tout ! Après son départ, je me mis à entendre de nouveau ces petites voix aigues, paniquée, je me dis que ma fille avait dû ramener des elfes en même temps que les bûches. Maintenant je regrettais de ne pas avoir écouté un peu plus mon voisin, peut-être m'avait-il confié comment éloigner les elfes mais hélas impossible de m'en souvenir. Je craignais aussi pour ma santé mentale, je n'avais parlé à personne de mes ennuis ! Je cherchais dans mes papiers tous ceux qui concernaient la période où j'avais habité là-bas, près de la forêt. Je finis par trouver le numéro de téléphone de mon ancien voisin. Il n'était pas si tard, je pris mon courage à deux mains et l'appelais. Au début la conversation fut un peu laborieuse, terriblement polie. Je finis par aborder, avec force circonvolutions, le sujet des elfes. Il éclata d'un rire joyeux. Vous avez dû me prendre pour un fou avec ces histoires d'elfes, non ? Non, pas vraiment, tant de choses sont inexpliquées… Ah mais là, on a eu l'explication, tellement bête, tellement prosaïque Ah oui, c'était quoi alors ? Mon appareil auditif ! Quand les piles arrivaient en fin de vie, des acouphènes se produisaient. Comme c'est toujours mon fils qui vérifiait l'état des piles et les changeait au besoin, j'ai mis du temps à faire le lien. A nouveau, il rit. Je pensais alors que j'avais depuis peu un appareil acoustique moi aussi et que je ferais peut-être bien de vérifier l'état des piles ! Evidemment, je n'en dis rien à mon ancien voisin et concluais la conversation de la façon la plus polie possible.

    1. Atelier
  6. Retrouvailles

    28 janvier 20234 minutes

    Dans ma famille la musique a toujours eu une place importante. Mon père jouait du violon dès son réveil. Il travaillait au grand orchestre de Prague. C'est d'ailleurs là qu'il y avait rencontré ma mère, flûtiste. Evidemment avec quatre enfants, elle ne jouait plus en orchestre mais elle découpait ses journées de façon à s'entraîner au moins une fois le matin et une fois l'après-midi. Tous les soirs, des amis, des collègues venaient à la maison et des concerts impromptus nous berçaient … ou nous réveillaient ! Tous les quatre, nous savions déchiffrer une partition avant de savoir lire. Les deux filles voulaient devenir flûtistes et, mon frère et moi, violonistes. Evidemment. Quand à la fin de la saison, le grand orchestre fermait pour un mois, nous allions de festivals en festivals, hébergés par des musiciens de rencontre ou dormant à la belle étoile. Lors de la chute du communisme, les subventions d'état s'arrêtèrent net. Mon père chercha un emploi de professeur ou d'accompagnateur. Il était même prêt à jouer dans les restaurants pour touristes mais les tziganes avaient le monopole de cette musique là. Tous les jours, il partait tôt pour chercher un engagement et rentrait tard quand il avait eu la chance de trouver quelque chose. Un soir, il ne rentra pas. Le dimanche suivant, je découvris avec horreur, le violon de mon père en vente au marché sauvage où nous cherchions à nous ravitailler et à céder nos dernières possessions : meubles, habits, partitions. Ma sœur ainée avait trouvé un petit ami allemand avec lequel elle partit en février. La semaine suivante, nous fumes expulsés. Nous trouvâmes un refuge dans une ruelle derrière l'opéra, à l'abri des courants d'air. Ma mère et ma plus jeune sœur affaiblies allaient chercher de l'aide là où elles pensaient retrouver des musiciens. Mon frère et moi avions pris de mauvaises habitudes entre mendicité et larcins et pourtant c'est nous qui arrivions à nourrir la famille ! Je n'avais pas oublié le violon de mon père et tous les dimanches, je vérifiais qu'il était encore à vendre. C'est ainsi qu'en avril, j'assistais à sa vente. Je suivis l'acheteur jusque chez lui puis je courus retrouver mon frère qui mendiait à l'entrée d'une boulangerie. Nous montâmes un plan, un cambriolage, pour récupérer le violon. La nuit venue, nous escaladâmes le mure de la propriété et je cassai la petite fenêtre des toilettes et hissai mon frère jusqu'à l'ouverture. La faim l'avait rendu assez mince pour qu'il s'y glissât. Il revint rapidement avec l'instrument et me le passa. Par contre, il était trop petit pour atteindre la fenêtre depuis l'intérieur ! Nous aurions dû y penser plus tôt. Je lui conseillai de passer par la porte d'entrée où j'allai l'attendre. J'attendis au creux d'une porte cochère toute la nuit et une grande partie de la journée. Je vis des gens sortir et rentrer mais pas de petit frère ! Je retournai à la ruelle pour expliquer la situation à ma mère et ma sœur mais elles avaient disparu ainsi que nos quelques biens (des cartons, des sacs et la flûte dont maman ne se séparait jamais). Avaient-elles été arrêtées ? Avaient-elles trouvé un autre refuge ? Du haut de mes dix ans, j'étais perdu. Je cachai le violon et retournai à la maison où je sonnai. A la fois déterminé et désespéré, je m'engouffrai dans la maison dès qu'une femme assez jeune ouvrit et appelai Jean à tue-tête. Aucune réponse et le maître de maison me sortit manu militari et me menaça de la police. Pendant plusieurs jours, je parcourus la ville à la recherche de ma famille. J'allais me renseigner aux hôpitaux, à la Croix-Rouge, au marché sauvage mais rien. J'espionnais aussi souvent que possible la maison où mon frère était entré mais rien non plus. Je pris l'habitude de jouer aux sorties des messes et Dieu sait qu'il y a beaucoup d'églises à Prague ! Un été une formation de musiciens français m'adopta, je jouais avec eux, vivais avec eux. Enfin je n'étais plus seul. Quand ils repartirent en France, je les suivis sans aucun papier. J'avais quinze ans. les uns e les autres m'aidèrent, à apprendre le français, à acquérir la nationalité française. Ils me trouvaient toujours un engagement par ci par là mais sans diplôme ma position restait précaire. Heureusement que j'avais le talent et le violon de mon père ! A force de démarches, je réussis à obtenir un emplacement dans le métro l'année de mes vingt ans. L'été cela me rapportait pas mal. Un jour où j'enchainais les airs de ma jeunesse, parfois sans en connaitre ni l'auteur, ni le titre, un jeune homme s'arrêta pour écouter et finit par pleurer. Il attendit la fin du morceau pour me prendre dans ses bras. C'était Jean ! Mon frère ! Il ne parlait pas un mot de français et mon tchèque était rouillé, nous échangeâmes nos nouvelles en anglais. Sa vie avait été plus douce que la mienne. Le couple de la maison que nous avions cambriolée, l'avait adopté et élevé sans jamais abordé le sujet du violon. Il se préparait à devenir comptable comme son père adoptif et ne voulait plus pratiquer la musique. Finalement, je me demandais qui de nous deux avait eu le plus de chance.

    1. Atelier
  7. Le mois de décembre

    17 décembre 20224 minutes

    Le mois de décembre est généralement la saison où le temps semble se précipiter. Peut-être parce que les jours raccourcissent ou parce que l'on veut terminer tant de choses avant la fin de l'année mais bien plus probablement à cause de la fièvre de Noël. Les médias ne cessent de nous le rappeler cette échéance. Toutes les publicités s'orientent vers les cadeaux et se colorent de rouge et or, de paillettes. Tous les journaux télévisés ont un reportage sur la meilleure bûche, la culture des sapins ou la confection des guirlandes ! toutes les organisations caritatives nous sollicitent par courrier, au supermarché et même au feu rouge ! Comment échapper à cette course forcée vers un bonheur mercantile ? Je décidais de m'isoler dans le bungalow familial en bord de mer. Comme nous n'y allions que l'été, il n'était équipé ni de radio, ni de télé et encore moins d'internet. Il était localisé à l'écart du village dans un lotissement désert de novembre à avril. J'y parvins quelques jours avant Noël et je me détendis enfin dans cette tranquillité absolue. J'avais apporté tout ce dont j'avais besoin y compris un radiateur d'appoint. Comme je m'y attendais, les pièces étaient humides. Je décidais de condamner l'étage et de vivre et dormir dans la grande pièce. Je vidais mes valises, remplis le frigidaire et les placards et pour laisser au radiateur le temps de réchauffer la pièce, je partis faire une grande balade. Tout m'était à la fois familier et étranger, j'avais parcouru mille fois cette partie du chemin des douaniers mais jamais à cette époque de l'année. Je fus ravi de ne rencontrer personne. Quand je rentrais à la nuit tombante, mon domicile était chaud et accueillant, après un bon moment de lecture et un repas léger, je passai une nuit complète sans réveil et sans rêve. Dans les jours qui suivirent, je récupérais de cette année difficile et conflictuelle. J'avais perdu la notion du temps, mangeais quand bon me semblait et dormais de même. Je ne ressentais aucun besoin de communiquer, ma misanthropie s'accentuait au fur et à mesure que mon bien-être augmentait. Un après-midi, où le vent soufflait fort, le courant fut coupé. En une heure, la température à l'intérieur chuta de plusieurs degrés. Je fus donc obligé de prendre la voiture pour aller chercher bouillotte et couvertures. Il faisait nuit, une nuit sans lune. Je roulais prudemment et pourtant, dans un virage, ma voiture dérapa et s'inclina de telle façon dans le fossé que je ne pouvais sortir ni à gauche, ni à droite, ni à l'avant, ni à l'arrière. Je n'avais croisé personne et guettais le moindre bruit de moteur. Finalement ce fut les aboiements d'un chien que j'entendis, j'ouvris ma fenêtre autant que je le pouvais et appelais à l'aide. Derrière le chien qui sautait et aboyait de plus belle, une jeune femme habillée n'importe comment approcha. Eh bien vous êtes vraiment mal pris, avez-vous appelé les secours ? Je n'ai pas de mobile et j'espérais encore réussir à sortir. Je vais chercher le tracteur, il n'est pas loin. Encore heureux que Vaillant vous ait repéré ! Avant que je ne puisse ajouter quoi que ce soit, elle avait tourné les talons. Vaillant fit plusieurs aller-retours avant que je n'entende puis ne visse le tracteur. Un vieux Ford pas très puissant. La jeune femme positionna son engin sur la route puis déroula un filin du tracteur jusqu'à l'avant de ma voiture. Au fait, je m'appelle Odette Jean Fabre et merci Toujours aussi peu bavarde, elle était déjà repartie au tracteur. Elle le fit avancer et ma voiture sortit du fossé. Par contre l'avant était bien abîmée et elle ne voulut pas démarrer ! Odette proposa de me déposer quelque part. Je fus très embarrassé, retourner au bungalow sans électricité ne m'emballait pas vraiment, je lui expliquai la situation et demandai si un hôtel quelque part … Elle éclata de rire. Hors saison et la nuit de Noël, vous ne trouverez rien ! Nous faisons chambre d'hôte l'été et nous avons un groupe électrogène, venez à la maison. J'étais confus et soulagé.

    1. Atelier
    2. Noël
  8. De mon temps...

    18 octobre 20223 minutes

    A passée cent ans, les journées sont courtes. Avec le temps et l'énergie qu'il me faut désormais pour les actes simples, je suis souvent fatiguée une fois habillée, lavée et ayant déjeuner, alors je somnole et repasse en revue mes souvenirs. Cent ans de souvenirs. Aujourd'hui, ma petite fille est venue pour fêter les rois avec son mari et ses enfants. Après ce repas plus copieux que d'habitude, je sens que je somnole un peu. Soudain, coupure internet : catastrophe ! Mes arrières petits enfants râlent et rouspètent à qui mieux mieux. Ils ne savent pas quoi faire, désœuvrés ils se rappellent de mon existence. - Mamy, comment tu faisais pour rencontrer tes amis quand il n'y avait ni internet, ni téléphone ? -Déjà, le téléphone existait même à mon époque ! Quand les premiers appareils mobiles sont apparus, on différenciait téléphone fixe et mobile. Tiens Max, regarde en bas du placard et prends l'objet noir en bas à gauche. Il sort avec ahurissement un bon vieux combiné à cadran et le pose avec appréhension sur la table. - Heu, c'est un téléphone ça ? Comment on choisit le numéro que l'on veut appeler ? - Reconnaissance vocale, lance Eve, sa sœur. Qu'ils sont rafraichissants ! Je leur mime un appel en décrochant l'écouteur et en tournant le cadran pour chaque chiffre. Je tends le petit écouteur rond à Eve en lui annonçant : - Fonction haut parleur de l'époque ! Ils rient et numérotent chacun leur tour en imaginant des conversations amusantes. Une fois la nouveauté passée, ils m'interrogent à nouveau : - Mais il n'y a pas de fonction GPS sur ton téléphone noir ! s'exclame Eve - Et pas de prise usb pour la voiture non plus, renchérit Max. - Alors comment vous faisiez pour aller à un endroit que vous ne connaissiez pas ? Dans leurs yeux qui brillent, je vois bien qu'ils attendent que je sorte une autre antiquité exotique de mon placard à malices. J'hésite un instant entre une boussole et une carte routière et finalement j'opte pour cette dernière. Je choisi une carte de la région bien détaillée et je la déplie soigneusement sur la table. Ils n'en reviennent pas de la taille de la carte une fois complètement étalée. Je leur montre la légende qui les amuse beaucoup avec ses petits dessins stylisés : trois petits points pour des ruines, un éventail proche du symbole Wi-Fi pour les points de vue et ainsi de suite. Je leur indique notre position actuelle et leur demande comment ils feraient pour rentrer chez eux. Au début, ils suivent les routes au hasard, comme un labyrinthe pour enfants et sont ravis quand ils croisent un nom connu. Ensuite, ils réfléchissent et finalement Max dit à sa sœur qu'ils n'ont qu'à se souvenir du trajet. - Souviens toi, quand on part d'ici, on tourne à droite puis très vite à gauche, alors ce doit être cette route jaune là, non ? En échangeant leurs souvenirs et en suivant le tracé des routes, ils finissent par trouver l'itinéraire de chez moi à chez eux. Ils sont fiers comme s'ils avaient effectué un des douze travaux d'Hercule. Avant qu'ils n'essaient de trouver leur école, le bip de la box retentit. Aussitôt, ils abandonnent carte, téléphone et arrière grand mère et se précipitent sur leurs consoles. - Tu crois que la partie a été sauvegardée ? demande anxieusement Eve à son frère. Je replie la carte avec soin pour la prochaine coupure. Je demanderai à ma petite fille de tout remettre dans le placard. Je me suis bien amusée à montrer mes vieilleries mais maintenant je suis fatiguée, je sens que je m'assoupis.

    1. Atelier
  9. Vol de nuit

    17 septembre 20222 minutes

    Je me souviens d'un voyage catastrophique, cauchemardesque, digne d'un film de fiction tant il parait peu probable d'enchaîner autant de mésaventures ! Courant octobre, nous avions décidé de voyager de nuit pour profiter au maximum de nos quelques jours de vacances en Crète. Hélas une grève des contrôleurs a compromis ce départ. L'agence de voyage a réquisitionné un car et nous voici, mal installés, en route pour l'aéroport de Bruxelles. Aucun paysage à voir dans l'obscurité et un chauffage défaillant! A l'aéroport, quasi désert, nous avons été bousculés et embarqués sans ménagement. Le personnel au sol comme celui à bord avait l'air épuisé et maussade : réquisitionnés eux aussi ? Des turbulences ont accompagné l'avion de bout en bout et il ne nous a même pas été proposé de rafraichissement ! A l'arrivée, le tout petit aéroport était fermé ! Nous sommes descendus directement sur le tarmac et avons récupéré nos bagages depuis la soute. Heureusement les grecs exubérants qui déchargeaient et le bruit de la mer toute proche donnaient un air joyeux à cet atterrissage pour le moins non conventionnel ! Nous n'avons pas vu le moindre officiel que ce soit la douane, la sécurité ou autre... De très jeunes gens brandissaient les pancartes des différentes agences de voyage et les éclairaient à la lampe torche. Notre correspondante, alerte et joyeuse malgré l'heure, entassa voyageurs et bagages dans un mini car, conduit par un chauffeur ne parlant que le grec. Il distribua les touristes dans les hôtels. Pour nous ce fut au bord de la route et nous comprimes qu'il fallait descendre à pied, avec nos valises, un chemin vers la mer. Le ciel étoilé nous permettait à peine de suivre la piste jusqu'à l'hôtel plongé dans le noir. Une cloche invitait à sonner. Nous avons visiblement réveillé le gardien qui après avoir longuement consulté le registre a fini par téléphoner à un responsable. Après une courte discussion dans un grec précipité, le veilleur nous expliqua dans un anglais scolaire que nous n'avions pas de chambre pour cette nuit (vu notre arrivée tardive, ils l'avaient donné à d'autres) mais que nous logerions, pour une nuit seulement, chez l'habitant. Et donc c'est dans un triporteur bringuebalant que nous avons effectué la dernière étape de ce voyage interminable. Le temps que notre hôte finisse de mettre des draps propres, l'aube se levait...

    1. Atelier
    2. Voyage
  10. Un dîner intéressant

    25 juin 20223 minutes

    Félix m'avait dit : en toute simplicité. Mais dans ce milieu, la simplicité est toute relative, j'avais donc changé de chemise et mis une veste légère mais pas de cravate. Je descendis quelques minute après avoir entendu le carillon du portail pour laisser à mes hôtes, Félix et Héloïse, le temps d'accueillir leur invité d'honneur. Arrivé dans le hall, je m'orientais vers la terrasse d'où provenait un brouhaha de conversation. Là, je vis une femme magnifique, grande, élancée, une allure de reine avec ses talons aiguille, sa robe légère, ajustée… Elle se retourna au bruit de mes pas. J'en fus ébloui : des yeux verts amicaux, des pommettes hautes, un sourire chaleureux. Avant que je ne puisse faire un geste ou prononcer une parole, Félix se précipita vers moi tout fier : - Je te présente Bernard, s'il est encore besoin de le présenter ! Bernard, je te présente mon ami parisien Anatole. Je découvris alors un petit homme bedonnant à la chevelure clairsemée. Il arrivait à peine à l'épaule de l'apparition. Il me tendit une main… qui s'avéra moite. Je me forçais à la serrer avec mon plus beau sourire commercial et me tournais courtoisement vers la jeune femme. - Vanessa annonça succinctement Bernard. Héloïse arriva avec des coupes de champagnes. - Trinquons au succès de Bernard, lança-t-elle. Nous trinquâmes donc. Bernard accapara aussitôt la conversation en racontant avec force détail : comment il procédait, le lieu, l'heure, le choix des mots. Pendant cette logorrhée ennuyeuse, j'échangeais des regards ironiques avec Vanessa. Héloïse avait disparu, sans doute dans la cuisine et Félix buvait les paroles de l'écrivain. Le dîner risquait d'être long ! Le carillon sonna à nouveau et un couple joyeux arriva, à la surprise quasi générale, surtout celle d'Héloïse qui venait de nous rejoindre et demanda poliment : - Vous êtes ? - Je me suis permis d'indiquer à Alain et Martine qu'ils me trouveraient ici ce soir. Ils souhaitaient tellement que je leur dédicace un exemplaire, intervint Bernard qui frétillait littéralement. Félix emmena admirateurs et auteur dans le bureau, Héloïse retourna dans la cuisine. Je me retrouvais seul avec la belle Vanessa. Ne voulant pas commettre d'impair, j'optais pour la forme interrogative : - Vous êtes une amie de Bernard ? - Pas vraiment, je me suis fait piégée, comme vous apparemment. Je suis agent littéraire à Avignon, pour la région sud chez Fayard. Félix m'a invité puis demandé de covoiturer ce fameux Bernard. Après ce trajet en commun, je ne pense pas que Fayard fera une proposition. Vous avez donc le champ libre. Vous êtes bien de la maison Laffont ? - Piégé moi aussi, en effet. Mais je ne le regrette pas puisque je vous ai rencontré. Nous n'avons pas d'agent littéraire en province mais nous étudions la question. Pour l'instant nous partons de l'hypothèse que tous les écrivains un tant soit peu ambitieux envoient leur tapuscrit sur Paris. - C'est vrai pour les auteurs confiants dans leurs écrits mais pour dénicher des pépites, il faut se rapprocher de ceux qui n'envoient pas d'œuvres aux éditeurs, qui sont connus uniquement par les animations locales concernant l'écriture, des concours de nouvelles, des ateliers… J'étais content du tour que prenait la conversation, légère mais professionnelle. - Fayard parraine-t-il ce type d'activités ? enchaînais-je. Mais je n'eus pas de réponse, Bernard effectuant un retour tonitruant dans la pièce. - Tenez, c'est cadeau et dédicacé ! Ca en jette quand même plus qu'un tapuscrit non ? Nous remerciâmes poliment en prenant chacun notre exemplaire. Héloïse revint pour nous inviter à passer à table. Elle avait placé Bernard en bout de table, son mari et elle l'encadrait. Je me retrouvais donc entre Héloïse et Vanessa. Le repas ne me semblerait sans doute pas si long finalement

    1. Atelier