Conférence UOV : Musée Rodin
30 janvier 202514 minutes
Au cœur d’un jardin à la française, les collections du plus grand sculpteur français sont présentées dans un hôtel particulier du 18e siècle. La beauté du lieu et des œuvres en fait un lieu d’une rare harmonie. Créé grâce à la donation que Rodin fit à l’État français en 1916, le musée Rodin est l’un des musées les plus visités de Paris. Perçu comme un havre de paix au cœur de la capitale, vous direz bientôt : « le musée Rodin, mon musée préféré ». UN LIEU CHOISI PAR L'ARTISTE Le musée Rodin a la particularité d’être un musée installé dans un lieu choisi par l’artiste lui-même. Construit en 1732 par l’architecte Jean Aubert, ce délicieux hôtel particulier de type rocaille a été découvert dans un état proche de l’abandon par Rodin en 1908. Il loue les quatre pièces au rez-de-chaussée avant d’occuper l’ensemble à partir de 1911. En ces lieux, le sculpteur prépare ce qui deviendra, le 4 août 1919, le musée Rodi, créé grâce à la donation que Rodin fit à l’État français en 1916, LA LUMIÈRE SUR LES SCULPTURES Baigné de lumière grâce aux grandes baies vitrées donnant sur le jardin, le parcours des salles du musée est un enchantement sans cesse renouvelé au fil des saisons. Selon l’heure du jour, les sculptures prennent une nouvelle apparence grâce au jeu continu de la lumière sur les volumes. Auguste Rodin (René François Auguste Rodin), né à Paris le 12 novembre 1840 et mort à Meudon le 17 novembre 1917, est l'un des plus importants sculpteurs français de la seconde moitié du XIXe siècle, considéré comme un des pères de la sculpture moderne. Héritier des siècles de l'humanisme, l'art réaliste de Rodin est un aboutissement, croisement de romantisme et d'impressionnisme dont la sculpture est modelée par la lutte entre la forme et la lumière. LE MUSEE Le parcours commence par le hall Cantor où se déploie l’escalier monumental. Dans les 18 salles du parcours, esquisses en terre, moulages en plâtre, sculptures en bronze ou en marbre montrent l’évolution de l’artiste tout au long de sa vie. Le processus créatif de l’artiste et la genèse des œuvres sont le fil rouge de la visite. Après les trois premières salles consacrées aux débuts de l’artiste, L’Âge d’airain se révèle dans une rotonde. Cette salle, l’une des plus belles du parcours, est entièrement décorée de boiseries du 18e siècle. Le jeu des réflexions dans les glaces anciennes et la blondeur des parquets anciens ajoutent une dimension poétique. Plus loin, Le Baiser, en marbre blanc, dégage une sensualité sans équivoque. Au premier étage, les vues sur les bronzes du jardin donnent un avant-goût du reste de la visite dans le jardin de sculptures où se trouve le Penseur. Salle 16, les œuvres de Camille Claudel, rappellent l’importance du lien qui unit les deux artistes. Le parcours se termine par l’Homme qui marche entouré de la collection d’antiques que possédait l’artiste. Cette œuvre fit de Rodin le premier des « modernes ». Technique : La mise au point : mesures multiples reconduites à une autre échelle. 1- Le Père Eymard (1863) : buste en bronze en hermès, Paris, musée Rodin. L'ecclésiastique porte un rouleau avec l'inscription « Audes ac grati […] imo devinissimo […] sac », interrompue par l'enroulement 2- L'Homme au nez cassé est un buste d'Auguste Rodin créé entre 1864 et 1865, que le sculpteur considère dans son autobiographie rédigée fin 1883, comme sa première œuvre importante. Le modèle est un homme de peine, dénommé Bibi, qui pour une somme dérisoire, se chargeait de balayer les ateliers des artistes. Le traitement à l’antique du buste reste traditionnel mais déjà, représenter un visage asymétrique et non la beauté idéale des grecs est un début d’émancipation du joug académique. Il n’est pas anodin de noter que les cheveux sont enserrés dans un réticule que les grecs associaient à l'immortalité. Peut-on l’interpréter comme un accessoire concret du désir de gloire du sculpteur ? En s’identifiant à son modèle, c’est sa propre fragilité qu’il représente à travers le buste d’un homme de peine qu’il veut rendre immortel. Telle est la gageure réussie de Rodin qui, dès la fin de sa période de formation, révèle à travers cette sculpture des secrets si douloureux que seule la glaise pouvait leur donner forme. Rodin réalise le buste en plâtre de cette figure et le présente au Salon de Paris en 1865, mais il est refusé. Il récidive au Salon de Bruxelles de 1872 avec un exemplaire semblable sous le titre de "Buste de M.B" et la sculpture est cette fois-ci acceptée 3- L'âge d'airain : Première œuvre importante de Rodin, réalisée à Bruxelles, cette figure montre déjà toute la maîtrise du sculpteur, son attention à la nature vivante dans l’attitude et le modelé. Un jeune soldat belge, Auguste Ney, posa pour cette œuvre dépouillée de tout attribut permettant d’identifier le sujet. Elle fut exposée au Cercle artistique de Bruxelles en 1877, sans titre, puis au Salon, à Paris, sous le nom de L’Âge d’airain, où elle fit scandale. La statue, dite aussi L'Homme qui s'éveille ou Le Vaincu, évoque l’homme des premiers âges. Elle tenait à l’origine une lance dans la main gauche, comme le montre une photographie de Gaudenzio Marconi, mais Rodin choisit de la supprimer pour dégager le bras de tout attribut et donner au geste une ampleur nouvelle. Accusé, lors de son exposition à Paris, de l’avoir moulée directement sur le modèle, Rodin dut prouver que la qualité du modelé de sa sculpture provenait bien d’une étude approfondie des profils et non d’un moulage sur nature. Ses détracteurs finirent par reconnaître la bonne foi du sculpteur. Ce scandale attira cependant l’attention sur Rodin et lui valut la commande de La Porte de l’Enfer en 1880. 4- Saint Jean Baptiste : bronze 2m04x63cm. Par cette oeuvre, Rodin prouve ainsi qu'il n'a pas recours au moulage. Il révolutionne alors la sculpture, par l’expressivité des formes, des expressions, des émotions, des sentiments et de la sensualité, de la perfection des visages, et de parties aussi complexes que les mains, les pieds etc. Il invente « le style Rodin » avec de nouvelles techniques de sculpture comme l’assemblage, la démultiplication ou la fragmentation, en totale contradiction avec l’académisme d'alors. 5-La Porte de l'Enfer (site dédié) Fonte réalisée par la fonderie Alexis Rudier en 1928 pour les collections du musée. La Porte de l’Enfer occupe une place tout à fait particulière dans la création de Rodin. Travaillant avec fièvre durant plusieurs années, il créa plus de deux cents figures et groupes qui forment un véritable vivier dans lequel il puisa durant le reste de sa carrière. Après avoir espéré pouvoir la présenter à l’Exposition universelle de 1889, le sculpteur laissa La Porte de côté à la fin des années 1880. À plusieurs reprises, il eut pourtant l’ambition d’achever son œuvre. Dans le cadre de sa grande exposition personnelle de 1900, il résolut de la montrer enfin au public, mais dans un état fragmentaire puisqu’il renonça finalement à mettre en place les figures les plus en relief, indépendantes de la structure principale, jugeant qu’elles produisaient un contraste trop fort avec le fond. Vers 1907, La Porte fut proche de voir le jour dans une version luxueuse, alliant le bronze et le marbre, qui devait être installée au musée du Luxembourg, où étaient exposées les œuvres acquises par l’État auprès des artistes contemporains. C’est en 1917 seulement que Léonce Bénédite, premier conservateur du musée Rodin, parvint à convaincre le sculpteur de le laisser reconstituer son chef-d’œuvre pour en faire réaliser une fonte, Rodin mourut avant de voir le résultat de tous ses efforts. De nombreuses œuvres proviennent de cette monumentale sculpture en continuelle évolution : 5-1-Le penseur Fonte réalisée par la fonderie Alexis Rudier en 1904 et attribuée au musée Rodin en 1922. Créé dès 1880 dans sa taille d’origine, environ 70 cm, pour orner le tympan de La Porte de l’Enfer, Le Penseur était alors intitulé Le Poète : il représentait Dante, l’auteur de La Divine Comédie qui avait inspiré La Porte, penché en avant pour observer les cercles de l’Enfer en méditant sur son œuvre. Le Penseur était donc initialement à la fois un être au corps torturé, presque un damné, et un homme à l’esprit libre, décidé à transcender sa souffrance par la poésie. Pour sa pose, cette figure doit beaucoup à l'Ugolin de Jean-Baptiste Carpeaux (1861, musée d'Orsay, Paris) et au portrait assis de Laurent de Médicis sculpté par Michel-Ange (1526-1531, Chapelle des Médicis, Église San Lorenzo, Florence). Tout en gardant sa place dans l’ensemble monumental de La Porte, Le Penseur fut exposé isolément dès 1888 et devint ainsi une œuvre autonome. Agrandi en 1904, il prit une dimension monumentale qui accrut encore sa popularité : cette image d’un homme plongé dans ses réflexions, mais dont le corps puissant suggère une grande capacité d’action, est devenue l’une des sculptures les plus célèbres qui soient. 5-2-Ugolin et ses enfants Rodin fut certainement impressionné par l’Ugolin de Jean-Baptiste Carpeaux (1861, musée d’Orsay), célèbre groupe dramatique dont le sujet est tiré de La Divine Comédie de Dante. Vingt ans plus tard, après avoir reçu la commande de La Porte de l’Enfer, il dessina plusieurs fois ce thème dantesque cher à ses aînés romantiques : fait prisonnier, rendu fou par la faim, Ugolin dévore ses enfants morts, ce qui lui vaut la damnation. Dans son groupe pour La Porte de l'Enfer, Rodin représente le drame juste avant qu’il n’atteigne son paroxysme : Ugolin rampe sur le corps de ses enfants mourants, mais il n’a pas encore totalement cédé à ses pulsions bestiales. Nu, grimaçant, à genoux, cet homme désespéré touche le fond de la dignité humaine ; une pose aussi humiliante est profondément originale dans l’art de cette époque. Rodin plaça ce groupe en bonne place dans La Porte, puis choisit d’en faire également une œuvre autonome. 5-3-les trois ombres Dans la Divine Comédie de Dante, les ombres, c’est-à-dire les âmes de trois damnés, se tiennent à l’entrée des Enfers et désignent une inscription sans équivoque : « Vous qui entrez, abandonnez toute espérance ». Rodin fit plusieurs études d’Ombres, et finit par assembler trois figures identiques qui semblent ainsi tourner autour d’un même point. Il les plaça au sommet de La Porte, d’où elles dominent le spectateur, puis les fit agrandir pour créer un groupe monumental autonome. Comme pour Adam, dont Les Trois Ombres reprennent la pose douloureuse, l’influence des œuvres de Michel-Ange est ici évidente. L’exagération de l’inclinaison de la tête est telle que les cous et les épaules dessinent pratiquement une seule ligne. C’est par de telles déformations anatomiques que Rodin atteignait à une puissance expressive sans égale à son époque. 5-4-Le Baiser Commandé par l’État français en 1888, sculpté entre 1888 et 1898. Entré dans les collections du musée du Luxembourg en 1901 ; transféré au musée Rodin en 1919. Le Baiser représentait à l’origine Paolo et Francesca, personnages issus de La Divine Comédie, poème de Dante Alighieri (1265-1321). Tués par le mari de Francesca qui les avait surpris en train de s’embrasser, les deux amoureux furent condamnés à errer dans les Enfers. Ce groupe, conçu tôt par Rodin, dans le processus créatif de La Porte de L'Enfer, figura en bonne place au bas du vantail gauche, face à Ugolin, jusqu’en 1886, date à laquelle le sculpteur prit conscience que cette représentation du bonheur et de la sensualité était en contradiction avec le thème de son grand projet. Il en fit alors une œuvre autonome et l’exposa dès 1887. Le modelé souple et lisse, la composition très dynamique et le thème charmant valurent à ce groupe un succès immédiat. Aucun détail anecdotique ne venant rappeler l’identité des deux amants, le public le baptisa Le Baiser, titre abstrait qui traduit bien son caractère universel. L’État français en commanda une version agrandie en marbre que Rodin mit près de dix ans à livrer. Ce n’est qu’en 1898 qu’il accepta d’exposer ce qu’il appelait son « grand bibelot » en pendant de l’audacieux Balzac, comme pour mieux faire accepter ce dernier. 6- l'éternel printemps Cette exubérante image de deux amoureux frise le style baroque. Cette œuvre devint rapidement l'une des plus populaires de Rodin. Plusieurs versions en bronze et en marbre en ont été réalisées. Rodin a rapidement créé cette statue avant sa célèbre Porte de l'enfer, ce qui explique la composition frontale. Le couple, tout comme celui du célèbre Baiser, exprime tout le bonheur ressenti par Rodin au cours des premières années de sa liaison avec Camille Claudel. C'est à cette époque qu'il découvrit, selon ses propres dires, tout ce que la combinaison d'attraction physique et d'harmonie spirituelle pouvait signifier pour un homme. Importance de Camille Claudel sur le plan amoureux, biographique et artistique : un espace Camille Claudel est ouvert au musée Rodin à la demande du sculpteur : Buste de Rodin L'âge mur L'abandon 7- Je suis belle Auguste Rodin réalise des sculptures à partir de fragmentations et d'assemblages, reprenant des éléments de sculptures différentes, qu'il assemble en de nouvelles sculptures par collage. Ainsi, Je suis belle est réalisée, vers 1882, à partir de deux autres plâtres : L'Homme qui tombe et Femme accroupie1. La sculpture L'Homme qui tombe apparaît dans La Porte de l'Enfer, plus précisément au sommet du pilastre droit. Je suis belle est inspirée par le poème La Beauté publié dans le recueil Les Fleurs du mal en 1857 par Charles Baudelaire. La première strophe du poème est gravée sur le socle de l'œuvre 2 : « Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre, Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Éternel et muet ainsi que la matière. » 8- les bourgeois de Calais Ce monument commandé à Rodin en 1884 par la ville de Calais célèbre le sacrifice collectif de six notables, partant remettre les clefs de la ville au roi d’Angleterre victorieux, au terme du siège de 1346-47 lors de la guerre de Cent ans. Les six personnages sont individualisés, réunis sur une même base, mais indépendants. Seuls face à leur destin et à la mort, ils ne se regardent pas, ne se touchent pas. Simplement vêtus d’une tunique, la corde au cou et les pieds nus, les condamnés entament leur lente marche funèbre Rodin donne à chaque figure, étudiée nue avant d’être drapée de la tunique du condamné, un geste et un mouvement particuliers - du désespoir à l’abandon, de la confiance à la résignation. Le monument, achevé en 1889, est installé en 1895 sur la place de l’hôtel de ville de Calais, sans toutefois respecter le souhait de Rodin qu’il soit présenté très haut – pour que les figures se détachent sur le ciel – ou sur le sol, « à même les dalles de la place, comme un vivant chapelet de souffrance et de sacrifice » (Rodin). 9- Le Monument à Balzac Fonte réalisée par la Fonderie Alexis Rudier en 1935 pour les collections du musée Rodin. Ayant mené parallèlement des recherches sur le corps de Balzac et sur sa tête, Rodin aboutit à un assemblage dans lequel ces deux éléments véhiculent des valeurs propres. Tandis que la tête avait évolué d’un portrait ressemblant vers un concentré de traits expressifs, le corps avait effectué un trajet inverse, tendant vers une dilution de la forme dans une symphonie de nuances matérialisées par la surface souple de la robe de chambre. C’est finalement un monument révolutionnaire que Rodin conçut en 1897, après six années laborieuses. Dépourvu des attributs habituels de l’écrivain (fauteuil, plume, livre…), son Balzac est moins un portrait qu’une puissante évocation du génie visionnaire dont le regard domine le monde, du créateur inspiré drapé dans la robe de moine qu’il revêtait pour écrire. Ce monument trop novateur fit scandale lorsqu’il fut exposé en 1898 et la commande fut annulée. Rodin ne vit jamais son monument coulé en bronze. 10- Maquette pour le monument à Victor Hugo, avec la Méditation et la Muse tragique En 1889, Rodin reçut de l’État la commande d’un monument pour le Panthéon à la gloire du grand écrivain Victor Hugo, mort en 1885. Il avait rencontré l’écrivain en 1883 pour réaliser son buste, mais choisit pour le monument de le représenter entier, assis sur les rochers à Guernesey, le bras tendu, dans une nudité héroïque recouverte d’un drapé à l’antique, donnant une image du poète et de l’exilé politique. Ces premiers essais ne convainquirent pas le commanditaire. Dès 1890, Rodin poursuivit son idée première pour un monument désormais destiné au Palais-Royal, et qui fut inauguré en 1909, et commença une autre étude représentant Hugo debout, l’Apothéose de Victor Hugo, celle-ci pour le Panthéon, mais qui ne vit jamais le jour. Dans la maquette finale présentée en 1897, Rodin reste fidèle à l’idée initiale : on y voit le poète pendant son exil à Guernesey, et on l’imagine faisant face à la mer déchaînée. Mais c’est nu que le sculpteur le représente, un drapé posé sur la jambe gauche, conférant une dimension héroïque au grand homme, malgré le choix d’un modèle au corps déjà vieilli. Deux allégories féminines, et non plus trois, l’accompagnent : La Muse tragique le surplombe tandis que La Voix intérieure se tient en retrait. 11- la main de Dieu En modelant cette œuvre audacieuse, Auguste Rodin rompt totalement avec toute espèce de composition traditionnelle et adopte une forme qui s'adresse directement à l'imagination. La main qui pétrit puissamment la matière d'où surgit l'être créé, c'est la divinité qui fait émerger l'humanité du néant ; c'est aussi l'image symbolique de l'artiste qui invente un monde. Auguste Rodin possédait une connaissance approfondie de l'art du Moyen-Âge et de la Renaissance. On a pu établir que la Main de Dieu a pour origine une étude de main utilisée pour deux des personnages du groupe des Bourgeois de Calais, dont les gestes évoquent le désespoir et l'adieu. C'est un exemple particulièrement intéressant de la capacité de Rodin de donner à des œuvres constituées d'éléments communs des significations tout à fait différentes.