Je suis un solitaire, un misanthrope. J'évite les rencontres et les échanges. Bien sûr, comme tout le monde je sais sourire, dire : bonjour, merci, au revoir. Mais, déjà, "Comment allez-vous ?" me pose problème. Imaginez un instant que la personne, au lieu du "Ca va merci" attendu, se mette à me raconter ses derniers déboires et, de fait, m'embarque dans une conversation ! Donc pas de "Comment allez-vous ?" ni son corollaire "Et vous ?" . Quand c'est à moi que l'on pose la question, j'esquive d'un sourire distrait. A force de réserve et de discrétion, je commence à devenir plus serein. Depuis deux ans, je n'ai plus besoin de gardes du corps ni d'intenter des procès aux journalistes indélicats. J'ai déménagé plusieurs fois, dans des endroits de plus en plus reculés, mais toujours luxueux. Maintenant avec la domotique poussée à l'excès et l'utilisation intensive de pseudos et d'internet, je peux vivre sans un aucune interaction pendant plusieurs jours. Si l'envie m'en prend, d'un coup de jet privé je rejoins anonymement un aéroport et, noyé dans la foule, je vais, incognito, voir une pièce de théâtre, visiter une exposition ou assister à un évènement sportif. Et dire qu'au tout début, je me réjouissait d'être reconnu dans mon village puis à Paris. J'enregistrais soigneusement toutes mes apparitions télévisées et collectionnais tous les articles me concernant ! Peu à peu, au fur et à mesure que mes gains augmentaient, mes amis, mes connaissances puis plus largement, des associations et même des inconnus me sollicitaient jusqu'à l'écœurement. Quand la violence s'est manifestée, venant autant de quidams que de proches et que j'ai du me protéger physiquement, j'ai fait une croix sur l'amour, l'amitié, la confiance, la foi en l'humanité ! Aujourd'hui, confortablement installée dans mon salon, écoutant une retransmission d'un célèbre opéra, un cocktail à la main, des toasts sophistiqués à disposition, je regrette, encore et toujours, amèrement, le jour où j'ai gagné.