Un évènement inattendu en bord de mer
22 mars 20255 minutes
Un évènement inattendu en bord de mer
22 mars 20255 minutes
Mes amis avaient compris mon besoin de solitude et avaient gentiment mis à ma disposition leur appartement à Dahouët. Le voyage avait été long mais sans fatigue : autoroute jusqu'à Rennes puis voie rapide quasiment jusqu'au bout. Je n'avais commencé à me détendre qu'en empruntant les routes secondaires et j'avais ressenti, comme à chaque fois, une bouffée de joie en apercevant la mer ! Et pourtant elle était grise presque argentée, reflétant les nuées qui défilaient. On n'aurait pas cru que c'était l'été. Je me garais sur le port où quelques bateaux semblaient abandonnés. A marée basse, la plupart étaient en mer. Je montais rapidement mon sac à l'étage et le temps de faire un lit et de ranger mes affaires, j'aérais le petit appartement qui sentait le renfermé. Tout de suite l'air marin emplit l'espace. Quand je redescendis, le temps avait déjà changé. Un ciel bleu brillait dans les flaques résiduelles et les derniers nuages filaient vers Paris. Je partis à la découverte de ce village que je ne connaissais pas bien que je sois venue plusieurs fois. D'habitude, mes amis m'attendaient puis m'emmenaient en balades et finalement je n'avais jamais exploré les quelques rues qui se regroupaient à l'église. Je dépassés tout d'abord des commerces fermés : quelques boutiques de souvenirs ou de tee-shirt, plus loin une crêperie et un restaurant de fruits de mer fermés eux aussi. En s'éloignant du port, les rues devenaient étroites et tortueuses, elles étaient bordées de vieilles maisons basses et grises aux volets bleu et aux jardinières fleuries. Je dépassais la mairie-école silencieuse, les enfants devaient être en classe. Je découvris, au tournant suivant la place de l'église plantée de platanes bien verts, l'église en pierres sombres étaient précédée d'un calvaire très ruiné. Une épicerie -boulangerie était grande ouverte et quelques femmes discutaient devant la porte. A l'autre bout de la place, on devinait un café, lui aussi ouvert et, du moins je le supposais, plutôt réservé aux hommes.
J'entrais dans le magasin en saluant les femmes qui me sourire en retour mais sans interrompre leur conversation. Il s'agissait d'une affaire d'importance : la fête du jumelage ! Les irlandais étaient attendus de pied ferme. Je compris que les festivités commenceraient le soir même par une grande soirée à la salle des fêtes avec repas, danses bretonnes et irlandaises, chants en gaëliques préparés par les enfants. Le lendemain un défilé de chars était prévu et les forains seraient arrivés. A la caisse, tout en calculant combien je lui devais, la commerçante m'invita à la soirée : entrée quinze euros. J'hésitais un peu, j'étais venue pour être au calme mais le groupe de femmes insista : qui vantant son far aux pruneaux inégalable, qui mettant en avant la variété et l'authenticité des danses qui seraient présentées. "Rien à voir avec les gavottes pour touristes" m'assurait-on. Le soir venu, je me dirigeais donc vers la salle des fêtes, construite à l'écart du village mais accessible à pied. Deux cars décorés de trèfles occupaient la moitié du parking. Une musique celtique d'échappait à chaque ouverture de la porte. C'est un irlandais avec un fort accent qui vérifia mon billet et un charmant leprechaun d'une huitaine d'années me conduisit à une table où, visiblement, les autres convives, moitié irlandais, moitié locaux, avaient déjà commencer à fêter leurs retrouvailles. Un verre de cidre me fut tendu et un "slainte" jovial adressé. Arrivée délibérément en retard, je constatais que j'avais bien calculé : les inévitables discours étaient effectivement déjà prononcés. Alors que des bénévoles, tous habillés de vert, distribuaient des galettes à la coquilles Saint Jacques, les enfants envahissaient la scène. Tous en habits traditionnels aux broderies dorées et, pour les filles : des coiffes en dentelles, pour les garçons : le fameux chapeau rond. Avec l'accompagnement d'un biniou et d'une cornemuse, ils entonnèrent des chants populaires, bretons, dont l'assemblée reprenait les refrains. Mon voisin s'aperçut que je ne chantais pas et me tendit son téléphone où les paroles étaient affichées. Je souris et fis de mon mieux. Ensuite, les enfants irlandais montèrent sur scène à leur tour, eux étaient accompagnés d'un violon et d'une flûte aigüe et danser à toute vitesse.
Le brouhaha sonore atteignait un niveau élevé surtout avec l'acoustique habituel des salles de fêtes ! On nous avait servi d'autres galettes et une part de far breton aussi excellent que l'avait annoncé la femme de l'épicerie. Un animateur nous avait incité à sortir de table pour aller chercher nous-mêmes un café ou autre boisson chaude et pendant ce temps, avec une grande efficacité, les tables et les chaise avaient été déplacées pour dégager un bel espace central. Un orchestre, formé de musiciens amateurs tant bretons qu'irlandais s'était mis en place et accordait ses instruments. J'étais allée faire la queue aux toilettes et quand je revins, l'atmosphère avait radicalement changé. Les musiciens se regardaient sans savoir que faire, quelques organisateurs allaient de groupe en groupe répandant le silence sur leur passage. Un mouvement relativement calme s'organisa vers les sorties de secours. Le maire, facilement reconnaissable à son écharpe tricolore restait, stoïque et inquiet. En me retournant, je vis les gestes frénétiques des derniers invités m'invitant à les rejoindre. Je réalisais que nous n'étions plus qu'une quinzaine dans la salle. Au premier pas que je fis dans leur direction, un bruit terrible m'arrêta net, pétrifié de surprise. Un groupe armé, cagoulé, casques en plexiglass sur la tête et bouclier anti-émeute à la main envahissaient la piste de danse. Il en venait de partout : l'entrée, les issues de secours, les toilettes, les coulisses. Derrière la première ligne, des snipers visaient chacun des individus encore présents. Une sinistre pastille rouge dansait sur mon torse. Un homme se mit à crier des ordres mais la panique m'empêchait d'en comprendre le sens. Ce qui était impressionnant c'était le silence et l'immobilisme de tout un chacun. Comme les autres, je n'osais pas bouger ne serait-ce que pour lever les bras. Un militaire m'attrapa et me tira à l'extérieur, apparemment le traitement était le même pour tout le monde. La fraicheur de la nuit dissipa en partie ma stupeur et je me mis à trembler violemment. J'entendais bien qu'on me demandait de décliner mon identité mais je ne réussissais pas à prononcer le moindre mot. Des équipes habillés de blanc désossaient littéralement les cars, d'autres entraient et sortaient de la salle. Des maîtres chiens quadrillaient le terrain avec leur bête. Les policiers en tenue, triaient les civils, je me demandais où j'avais bien pu tomber et comment j'allais pouvoir expliquer ma présence.