Mon meilleur ennemi

09 décembre 20243 minutes

J'appréhendais toujours la rentrée, découvrir les autres élèves, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas; vérifier la liste des professeurs avec chacun leur réputation d'indulgence ou de sévérité. Cette année commence mal ; Guy est dans ma classe. Il a redoublé, au moins une fois. Il est plus âgé, plus grand aussi, un regard moitié moqueur, moitié méprisant. Si je suis connu comme le plus jeune et le plus brillant de cet établissement, lui est le rigolo de service. Les professeurs les moins expérimentés le craignent car il sait dissiper une classe comme personne. Les enseignants ont renoncé à l'interroger et en classe il … s'occupe. Dès le premier cours, au moment de l'appel, il nous attribue à chacun un surnom à mi-voix, soit une rime stupide de notre nom soit un sobriquet. Horreur ! Le professeur est complice et attend avec complaisance avant d'enchaîner avec le nom suivant. Et me voici affublé du titre de "ratus bibliothecus" sous les rires hypocrites de mes camarades. Bien sûr, je reste droit et impassible. Si j'osais, je le qualifierai de "cretinus latinus" !

A la récréation, il entraîne un petit groupe dans un jeu idiot où ils se passent les uns aux autres ma casquette neuve. Je les ignore ostensiblement, plongé dans mon dictionnaire. Heureusement je retrouve ladite casquette sur ma pèlerine au moment de partir et je croise le regard narquois de Guy, une cigarette aux lèvres. Je le déteste !

Au cours des semaines suivantes, il prend l'habitude de s'asseoir à mes côtés, de bavarder impunément pendant les cours et de copier sur moi lors des contrôles. Je le déteste !

Seul avantage, sa présence à mes côtés retint les brutes de l'année dernière de me bousculer et de voler, mes desserts et mes mouchoirs. Mes notes restent excellentes mais, et cela m'ennuie beaucoup, les siennes aussi ! A vrai dire, nous sommes au coude à coude pour le classement. Le corps enseignant est enchanté, parle d'une bonne association, d'une saine compétition. Je bous intérieurement et ne sais comment mettre en évidence ses tricheries continuelles. A force de chercher, la seule idée qui me vient c'est de me tromper intentionnellement. Je préfèrerais encore que ce cafard d'Edouard, troisième de la classe, soit premier plutôt que ce Guy populaire, collant et malhonnête ! Et voilà qu'il n'a pas recopié l'erreur ! Il est premier, Edouard second et moi troisième. Ce n'est pas possible ! Tout le monde, y compris les professeurs, se réjouit et me regarde avec un petit air de dire :"Alors, le plus intelligent, tu n'es pas premier ?". C'est insupportable ! Et il ne reste que l'épreuve de courses pour finaliser le classement. Même si j'ai fait de gros progrès à force de courir après ma casquette à chaque récréation, je ne les battrai jamais.

Comme prévu, ils m'ont distancé et au moment où je pense abandonner, je vois Guy faire un croche patte des plus flagrants à Edouard et quand celui-ci se relève furieux, ils s'apostrophent et en viennent aux mains. Deux pions les séparent. Guy a la lèvre fendue et Edouard l'œil poché. De plus ils sont disqualifiés ! Galvanisé par cet incident, je termine la course la tête haute et au moment où je passe devant eux, Guy me glisse : "Tu vois, je te l'ai laissé ta première place."

  1. Atelier

Histoires similaires

  1. Sur un collage de Max Ernst

    07 décembre 20243 minutes

    "Envoyez le cheval chercher les fleurs à l'épicerie" m'a demandé monsieur le curé. J'y suis allé mais ne suis jamais arrivé ! Au bord de la rivière un hippopotame a effrayé ma monture qui s'est cabré en hennissant ce qui a effrayé le pachyderme qui a sauté à l'eau dans un immense plouf ! La gerbe d'eau qui en a résulté, s'est irisée en un double arc-en-ciel et m'a copieusement arrosé ! Meurtri par ma chute, trempé , j'ai de plus reçu quelque chose dans l'œil. Je me suis alors adressé aux deux personnes sorties de leur plantation suite à toute cette agitation. - j'ai une poussière dans l'œil, pouvez-vous m'aider ? - Je vois l'univers entier dans votre pupille et les chevaliers de l'apocalypse qui arrivent au galop. s'écria la femme en tournant théâtralement la tête. Son fils s'approcha à me toucher et voulut écarter ma paupière de ses doigts sales. Je l'en empêchais vivement en retenant sa main ! Alors que mon cheval s'était calmé et s'abreuvait à la rivière sous l'œil rond et méfiant de l'hippopotame, les cris hystériques de la femme poussa l'un à s'enfuir et l'autre à plonger, m'éclaboussant derechef ! J'écartais avec colère ces deux individus si peu secourables et partis en boitillant à la recherche du cheval. Je voyais sa silhouette s'éloigner vers le coude de la rivière. J'hésitais sur la conduite à tenir quand un mouvement sur la rive m'alerta et je retournais vers la piste en courant pour m'éloigner du crocodile qui, heureusement, n'insista pas et se remit à chauffer au soleil. Me repérant aux termitières géantes qui balisaient le chemin telles des sentinelles, je marchais vers le village de l'épicier-fleuriste dans un état second. Les couleurs ondoyaient sous le soleil brouillant les formes. Des sortes de feu-follets bariolés m'entouraient dans une cacophonie de sons aigus sous tendus par un battement sourd et régulier. Je me résignais à échouer dans ma mission de ramener les fleurs en sentant que je devenais de plus en plus léger, jusqu'à m'envoler haut dans le ciel. De là je vis la procession qui attendait les fleurs et m'approchant je me retrouvais pile au-dessus des participants vêtus d'aubes au blanc éblouissant en contraste parfait avec leur peau noire. J'entendais les psaumes scandés à haute voix sur le rythme légèrement dissonant des tam-tam. Puis tout se dilua dans un silence profond et une nuit absolue. Avant que je ne m'inquiète de cette absence totale de sensation; l'ouïe me revint en identifiant des appels "Monsieur ? Monsieur ?" puis le toucher en sentant le sol dur et frais sous mon dos, l'odorat m'apporta des senteurs sucrées et enfin la vue me révéla des visages anxieux et compatissants. Une femme me tendit une demi noix de coco où je me désaltérais. Je n'avais aucune idée de l'endroit où j'étais et encore moins comment diable avais-je pu y arriver. Manifestement j'étais dans une case en paille or aucune de ces construction de sauvage n'était autorisée dans l'enceinte des villages coloniaux. Je ne pouvais qu'en déduire que je n'étais pas dans un village. Je voulu me lever mais la tête me tourna et perdis connaissance. Je me réveillais à nouveau, à l'ombre, le soleil aussi haut dans le ciel qu'à mon départ, mon cheval attaché à une branche et chargé de brassées de fleurs magnifiques et sauvages (en aucun cas en provenance d'un fleuriste) à deux pas du village quitté le matin même ?

    1. Atelier
  2. Voyage autour de ma chambre

    16 novembre 20242 minutes

    Mauvaise blessure. Me voici immobilisée au fond de mon lit. La fièvre modifie mes perceptions ! A chaque fois que je me tourne vers ce que je pense être la fenêtre, je vois deux soldats géants, façon casse-noisette,  qui empêchent à  quiconque d'entrer. Leurs uniformes sont bleu nuit comme mes doubles rideaux… Au réveil suivant, la douleur est lancinante, je n'ouvre pas les yeux. Des éclairs rouges et or se succèdent sous mes paupières. Sûrement les flammes d'un dragon dont je sens aussi la chaleur. Je compte sur les deux soldats pour le combattre et le vaincre. Maintenant, tout est calme. Ni dragon, ni douleur. J'ouvre les yeux et redécouvre ma chambre et les rideaux ressemblent ... à des rideaux ! Sur le mur face au lit, une peinture d'une ruelle de Collioure, en été. Je sens l'odeur des fleurs fraiches dans l'ombre et la saveur iodée de la mer. J'entends des enfants rires et des adultes parler de façon enjouée, je sens la chaleur du soleil se répandre dans mon corps qui s'engourdit… Je me réveille à nouveau, la douleur est revenue. Je me concentre sur mes draps où des carrés de couleurs vives dessinent, je le sais, la silhouette de la tour Eiffel. Mais ces carrés multicolores me rappellent l'éléphant Elmer des livres d'enfants. Je me vois marcher à côté de lui et passer de page en page en rencontrant d'autres animaux tout aussi colorés, ouistiti et hippopotame et deux pages plus loin son ami, éléphant lui aussi mais composé de carré noirs et blancs, nous accueille. Impossible de me souvenir de son nom, je cherche dans mes souvenirs et m'endors à nouveau sans avoir la réponse. Au réveil suivant, j'ai enfin l'esprit clair et la douleur est tout à fait supportable. La fenêtre est ouverte et je respire à plein poumons les senteurs printanières. J'entends deux personnes arriver. Quand elles ouvrent la porte je constate qu'il s'agit d'une infirmière e de ma fille, devant mon sourire d'accueil, elles s'exclament en chœur : " De retour parmi nous ?" Combien de temps ai-je voyagé aux confins de la conscience, jusqu'où m'ont emmené l'imagination et la souffrance ?

    1. Atelier
  3. Mon premier combat

    04 novembre 20243 minutes

    Les vaques de souffrance alternent avec des blancs comateux. au bout d'un moment non mesurable, la douleur change : moins intense, plus présente. Je reste dans un espace rêvé, flou. Derrière moi des souvenirs radieux : une brise légère, l'odeur de l'herbe fraichement coupée, le ciel azur parsemé de flocons blancs aux formes fantastiques, entrecoupés de fièvres soudaines et de soins douloureux. peu à peu ma situation se précise : cloué au lit, perfusé, attaché, momifié par une multitude de bandelettes et isolé sous une tente stérile. Je prends ensuite conscience des soignants, silhouettes anonymes uniformément vêtues bleus aux gestes sûrs, aux regards tantôt compatissants, tantôt inquiets. Je dors beaucoup. Quand je suis éveillé des visions lacunaires me traversent : des lieux, des visages. Peu à peu mes pensées se structurent et j'identifie certains lieux : chambre, salle de classe, jardin, bus et je reconnais les visages : maman, Coralie, Paul, monsieur Denis... Je ne veux pas savoir. Je voudrais dormir en continu mais mes réveils sont plus fréquents et plus longs, la souffrance toujours présente me laisse des répits angoissants. J'aurais voulu ne pas savoir. Maintenant je revis en permanence l'explosion brutale suivi du fracas des murs qui s'effondre, je sens en continu la chaleur des flammes, la brulure sur ma peau. Je hurle sans le moindre son et me débats sans le moindre mouvement. Seule les injections de calmants me permettent de rejoindre un néant bienvenu. Encore un sommeil artificiel, encore un réveil désespéré dans un corps qui souffre et un esprit qui pleure. Cette fois-ci, un changement important : j'entends à nouveau. Je ne pense pas que ce soit un progrès. Les bruits de succion de certains appareils, les bips de certains autres et surtout, surtout, les questions des soignants. Je voudrais retrouver ma bulle de silence où seul mon corps se manifestait et où mon esprit tenait la réalité à distance. La personne qui est venu me parler était la première à ne pas porter de masque et pourtant je me suis dépêché d'oublier son visage mais je n'ai pas pu oublier ses mots.  Je sais la maison détruite, mes parents et mon frère morts. Finalement je préférais la douleur à la tristesse. Ils voudraient que je communique grâce à un stylet que je pourrais manipuler de la main gauche moi qui suis droitier. Je m'y refuse et, depuis que j'en suis capable, je tourne la tête et je ferme les yeux. Coralie entre dans la chambre, je reconnais son parfum. Elle me regarde avec tendresse et je ressens une onde bienfaisante sur mon corps blessé ou sur mon âme meurtrie, ou les deux. Elle reste à mes côtés sans parler, juste en me souriant jusqu'à ce qu'une infirmière lui demande de sortir. Elle me chuchote : je reviendrai. Et tout à coup je ne veux plus subir, je veux guérir. Là je ne peux ni parler, ni bouger mais je vais récupérer (depuis que les kiné, médecins, ergothérapeutes et autres rééducateurs me le serinent). A la prochaine visite, je lui sourirai. Ce sera mon premier combat !

    1. Atelier
  4. Qui suis-je ?

    07 octobre 20242 minutes

    Dans l'anonymat des transports en commun, je me fonds. Chacun, dans sa bulle, s'ignore autant qu'il le peut. Dans le brouhaha de la pause café, je me détends, banalités du quotidien. Dans la réunion qui suit, je m'impose, je dirige, je décide. Téléphone ! S'adapter à son interlocuteur : "Bien sûr cher client". Solitude relative du bureau, échanges de mails formels, attendus. Discussion animée autour d'un film controversé, rester neutre, poli, gommer les aspérités. Partir. Respirer, soupirer, envie de s'étirer. Les métros du soir sont plus lourds de toutes les journées écoulées, de tout ce qui a été ou pas. Regrets et satisfactions mêlées. Rires, joie, retrouvailles : "Je t'ai fait un dessin". Moments baignés de gaieté et de sourires. Dans la pénombre de la chambre et la tendresse de l'histoire du soir : calme et sérénité. La porte s'ouvre et je deviens autre, épouse cette fois. Chaque jour le me perds dans la mosaïque de ma vie.

    1. Atelier
  5. La lecture (textes 3 et 4)

    14 septembre 20243 minutes

    3- Je me souviens de ma première motivation pour lire, je voulais savoir ce qui était écrit dans la rue : le nom des magasins, les publicités, le nom des rues… Quelle difficulté j'ai eu à déchiffrer puis à comprendre l'enseigne "Coop". Le concept de magasin coopératif était un peu compliqué à 5 ans. Et la surprise de découvrir dans les tunnels du métro la litanie "Dubo", "Dubon", "Dubonnet" ! A l'époque il m'était plus facile de lire à voix haute au grand amusement des autres passagers. Plus tard, en cours, le professeur était soit trop rapide pour ma compréhension, soit trop lent pour ma concentration. Heureusement la lecture me permettait d'apprendre à mon rythme. Encore aujourd'hui, surtout aujourd'hui, les informations se bousculent et s'effacent d'un jour à l'autre, dune actualité à l'autre. Alors j'attrape des bribes et j'utilise internet pour accéder à des articles de fond pour approfondir tel ou tel sujet. Tout dernièrement, avec les Jeux olympiques à Paris, ou plutôt paralympiques, j'étais intriguée par les mécanismes de sélection et de compétition. Peut-on faire concourir aveugles et borgnes ensembles ? Quelqu'un qui n'a qu'un bras avec quelqu'un qui n'en a pas ? Mes lectures m'ont montré la complexité du problème. La classification comporte une à deux lettre pour le sport et un ou deux chiffres pour le niveau de handicap. Les lettres font référence au nom du sport en anglais. Ainsi, les nageurs concourent en catégorie S (« swimming ») et les avironniers en PR (« para rowing »). Les chiffres renvoient, eux, au degré de handicap. Plus il est petit, plus le geste sportif est limité. Un basketteur classé à 4,5 a plus de capacités fonctionnelles qu’un joueur à 1. Dans les sports collectifs, les équipes ne doivent pas dépasser un total de points établi. Un examen médical permet d’évaluer l’impact du handicap sur les performances de l’athlète et de leur associer une catégorie, afin de favoriser l’équité. 4- Je ne relis pas souvent les livres déjà lus. Comme je privilégie les romans et parmi eux, les ouvrages policiers ou à suspense, les relire présente moins d'intérêt!; je connais déjà la fin et les rebondissements. Souvent, si deuxième lecture il y a, je relève une ou deux incohérences. D'autre fois, par contre, je repère les indices disséminés par l'auteur et admire la construction de l'intrigue. Il me semble que la poésie permet plus facilement des lectures répétées, le choix des mots et la musicalité des phrases apportant une émotion renouvelée. Ainsi, un livre que je relis, à chaque fois avec plaisir, c'est "le petit prince". D'une lecture à l'autre, c'est l'allumeur de réverbères ou le comptable, ou un autre qui vont retenir mon attention. Bien entendu, je suis très vigilante quand aux éventuelles pousses de baobab que je pourrais détecter dans mon jardin. Je m'efforce quotidiennement de voir avec mon cœur et le renard apprivoisé et mon personnage préféré. Ce livre peut être lu très jeune et relu tout au long de sa vie, l'expérience personnelle modifiant notre sensibilité au texte. La perte d'une personne chère donne plus d'acuité au départ du Petit Prince et d'importance au scintillement des étoiles.

    1. Atelier
    2. Littérature