Mon premier combat

04 novembre 20243 minutes

Les vaques de souffrance alternent avec des blancs comateux. au bout d'un moment non mesurable, la douleur change : moins intense, plus présente. Je reste dans un espace rêvé, flou. Derrière moi des souvenirs radieux : une brise légère, l'odeur de l'herbe fraichement coupée, le ciel azur parsemé de flocons blancs aux formes fantastiques, entrecoupés de fièvres soudaines et de soins douloureux. peu à peu ma situation se précise : cloué au lit, perfusé, attaché, momifié par une multitude de bandelettes et isolé sous une tente stérile. Je prends ensuite conscience des soignants, silhouettes anonymes uniformément vêtues bleus aux gestes sûrs, aux regards tantôt compatissants, tantôt inquiets. Je dors beaucoup. Quand je suis éveillé des visions lacunaires me traversent : des lieux, des visages. Peu à peu mes pensées se structurent et j'identifie certains lieux : chambre, salle de classe, jardin, bus et je reconnais les visages : maman, Coralie, Paul, monsieur Denis...

Je ne veux pas savoir. Je voudrais dormir en continu mais mes réveils sont plus fréquents et plus longs, la souffrance toujours présente me laisse des répits angoissants.

J'aurais voulu ne pas savoir.

Maintenant je revis en permanence l'explosion brutale suivi du fracas des murs qui s'effondre, je sens en continu la chaleur des flammes, la brulure sur ma peau. Je hurle sans le moindre son et me débats sans le moindre mouvement. Seule les injections de calmants me permettent de rejoindre un néant bienvenu.

Encore un sommeil artificiel, encore un réveil désespéré dans un corps qui souffre et un esprit qui pleure. Cette fois-ci, un changement important : j'entends à nouveau. Je ne pense pas que ce soit un progrès. Les bruits de succion de certains appareils, les bips de certains autres et surtout, surtout, les questions des soignants. Je voudrais retrouver ma bulle de silence où seul mon corps se manifestait et où mon esprit tenait la réalité à distance.

La personne qui est venu me parler était la première à ne pas porter de masque et pourtant je me suis dépêché d'oublier son visage mais je n'ai pas pu oublier ses mots.  Je sais la maison détruite, mes parents et mon frère morts. Finalement je préférais la douleur à la tristesse. Ils voudraient que je communique grâce à un stylet que je pourrais manipuler de la main gauche moi qui suis droitier. Je m'y refuse et, depuis que j'en suis capable, je tourne la tête et je ferme les yeux.

Coralie entre dans la chambre, je reconnais son parfum. Elle me regarde avec tendresse et je ressens une onde bienfaisante sur mon corps blessé ou sur mon âme meurtrie, ou les deux. Elle reste à mes côtés sans parler, juste en me souriant jusqu'à ce qu'une infirmière lui demande de sortir. Elle me chuchote : je reviendrai. Et tout à coup je ne veux plus subir, je veux guérir. Là je ne peux ni parler, ni bouger mais je vais récupérer (depuis que les kiné, médecins, ergothérapeutes et autres rééducateurs me le serinent). A la prochaine visite, je lui sourirai. Ce sera mon premier combat !

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    Le dix mai, à sainte Austreberthe, jour de la fête patronale, une brocante réputée s'y tient. J'étais donc parti pour ce village dès le petit déjeuner avalé. Ma voisine m'avait vanté cette brocante qui, d'après elle, abondait en occasions à saisir. Hélas cette information s'est révélée fausse. Des bibelots élégants et rares étaient bel et bien exposés mais à des prix prohibitifs dépassant largement le budget que j'avais prévu. Ceci dit je ne regrettais pas la balade. Le soleil brillait et, en ce début de printemps, la fragrance des lilas embaumait l'air. L'un des exposants était un antiquaire notable de la région et les badauds s'y agglutinaient. Je me frayai un passage et découvris l'horloge comtoise que je cherchais depuis longtemps. Je pris le risque d'aller déjeuner, espérant qu'en fin de journée les négociations seraient plus faciles. Et effectivement, vers dix-sept heures, le stand était plus accessible. Après d'âpres discussions, j'obtins l'objet convoité pour deux cents euros ! et c'est seulement quand je voulus l'emmener que je me rappelai que j'étais venu à bicyclette.

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