Promenade quotidienne

17 juin 20234 minutes

Nous ne sommes pas encore sortis ce matin et j'aimerais bien y aller maintenant. Je me lève et vais dans sa chambre pour voir où il en est. ouf, il ajuste sa cravate devant le miroir, le dernier geste qu'il effectue dans cette pièce. Toutes les odeurs de nuit sont encore présentes. Il n'a pas ouvert la fenêtre aujourd'hui. Je sens avec certitude que sa nuit a été agitée, peu de sommeil, beaucoup de mouvements. Je recule précipitamment quand il s'avance. S'il me parle, on n'est pas sorti ! J'attrape la laisse qu'il pose toujours au même endroit. Je n'aime pas son goût. Je préférais celle en cuir que j'ai cassée à force de la mordiller. Je la mordille quand même, histoire de laisser ma marque. Heureusement il fait suffisamment chaud pour que mon maître n'ait pas besoin de manteau ! Cela lui demande tant d'efforts maintenant. Je me souviens encore du temps où il enfilait sa veste d'une main, ouvrait la porte de l'autre et tenait la laisse dans sa bouche ! Comme nous sortions vite et comme nous allions loin alors. Aujourd'hui, l'ouverture de la porte nécessite plusieurs essais et la fermeture aussi. Enfin, nous sommes dehors. Je hume et reconnais mon domaine. Les arbres de la place en fleurs, les odeurs des différents voisins, voisines, du chat de la villa au 3, du vélo du garçonnet du 5 (qui est encore tombé, si j'identifie correctement ce léger parfum de sang enfantin). Ma truffe me guide vers l'urine du petit caniche d'à côté. Oh, je ne l'aime pas celui-là ! Il passe son temps à criailler, à tirer sur la laisse ou au contraire à s'arcbouter juste pour contrarier sa maîtresse. Je commence par effacer ses marques par les miennes. D'une certaine façon, je reprends possession de ma place. Elle m'appartient depuis que je suis un chiot ! J'étais le seul animal du coin à l'époque (les oiseaux ne comptent pas). Maintenant les chiens ou chats que je croise sont juste de passage, à part le chat du 3 et l'horrible caniche.

Je sens la laisse qui se tend. Je me retourne, mon maître salue l'homme du 2. Il est souvent à sa fenêtre et je l'aime bien. Il arrive souvent à rendre le sourire à mon maître. Nous ne le croisons jamais dehors, soit il ne sort pas, soit il n'a pas les mêmes horaires. Parce que nous, nous avons des horaires immuables : le matin jusqu'à la boulangerie, fin de matinée, le bar pour un apéro, milieu d'après-midi le parc et en soirée le tour de la place. Tous les jours de l'année et quelque soit le temps et depuis plusieurs années !

Je me souviens de trajets en voiture, de courses éperdues en forêt. Oh la forêt, quel bouquet d'odeurs, quel feu d'artifice de senteurs ! Que de découvertes, N'avais-je pas réussi, après tant d'échecs, à saisir du bout des dents la queue d'un lézard qui me l'a laissée pour s'enfuir ! Caoutchouteux et sans goût, la traque s'était révélée bien plus intéressante que la prise. Une autre fois, improbable, j'avais attrapé un lapin ! Mais mon maître m'a ordonné de le lâcher. J'ai hésité un moment à obéir mais son neveu de 5 ans était avec nous et semblait bouleversé, alors j'ai laissé le lapin repartir en titubant.

La laisse se détend, signe que nous repartons. Je marque consciencieusement mon territoire à chaque lampadaire, chaque portail, chaque poteau, partout. La laisse se tend à nouveau, cette fois il ne s'est pas arrêté, simplement il marche lentement. Je constate qu'il est essoufflé alors je m'assieds et je fais mine de m'intéresser aux oiseaux qui se sont posés dans le jardin derrière la grille. En fait, avec les années, j'ai perdu l'envie de me précipiter en aboyant juste pour le plaisir de les voir s'envoler dans des pépiements indignés.

De pauses en pas prudents nous atteignons le magasin. Mon maître commence par se pencher pour attacher la laisse mais il renonce et la pose sur l'appui de fenêtre, à sa hauteur. Je ne bougerai pas quelle que soit le temps d'attente. Je ne voudrais pas l'obliger à se baisser pour ramasser cette laisse.

Quand il sort de la boulangerie, le moment préféré de la promenade arrive. Il s'assied sur le banc le plus proche, il me gratte derrière les oreilles en me parlant. Moi je fonds littéralement, je le regarde avec adoration et ma queue bat le rythme de notre amour. Douze ans que nous sommes ensembles, douze ans de bonheur et de tristesse partagées. Oh mon maître !

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