La collection inavouable

26 juin 20246 minutes

Dimitri Delmas a écrit un livre sur la collection Gurlitt, puis, suite à une demande d'Orange, a accepté de faire une conférence sur le même sujet.

Rappel des faits : En 2010, à l'occasion d'une opération des douanes, les autorités ont découvert une collection de plus de 1 500 œuvres cachées depuis des décennies par Cornelius Gurlitt. Une affaire au retentissement international.

Après une longue enquête et l'étude d'innombrables documents, M. Delmas a pu reconstituer l'histoire de cette collection :

Hildebrand Gurlitt vient de Dresde. Il étudie l'histoire de l'art, tout d'abord à Dresde, puis à partir de 1919 à Berlin, et ensuite à l'Université de Francfort-sur-le-Main, où il soutient en 1924 sa thèse de doctorat. Il épouse en 1923 la danseuse Helene (« Lena ») Hanke. Il a avec elle un fils, Cornelius Gurlitt, né en 1932 à Hambourg (et mort en 2014 à Munich), et une fille Nicoline Benita Renate, née en 1935 à Hambourg et vraisemblablement décédée en 2012.

Entre le 1er avril 1925 et le 1er avril 1930, Hildebrand Gurlitt dirige le Musée du Roi Albert de Zwickau. Il est licencié à cause de son engagement pour un art moderne alors banni et pour son côté dépensier. Entre mai 1931 et juin 1933, il est directeur de l'association artistique de Hambourg, il peut encore mettre en place une exposition sur l'art moderne italien en avril 1933. Mais les pressions deviennent rapidement trop fortes, Gurlitt est contraint de démissionner de son poste le 14 juillet 1933.

Il gagne son indépendance en s'établissant comme marchand d'art à Hambourg avec la société Kunstkabinett Dr H. Gurlitt. Il a beaucoup de succès. Des officiers du Parti font savoir ce qu'ils savent de la grand-mère juive Elisabeth Gurlitt (née Lewald), et la menace ne porte à présent plus seulement sur son commerce de l'art, mais sur toute son existence, puisqu'il est considéré comme « métis ». Mais comme les puissants à Hambourg faisaient des affaires lucratives avec lui et ont ensuite utilisé ses connaissances dans les acquisitions d'art pillé, ces accusations n'ont jamais été faites de manière officielle ni publique

1937 : retrait des œuvres "dégénérées" (plus de 16 000 œuvres) qui seront vendues à l'étranger pour financer la guerre. Gurlitt postule pour être "vendeur officiel"

Pendant la guerre, il passe souvent à Paris pour acheter des œuvres à Drouot, des œuvres volées aux collectionneurs et marchands d'art juifs. Il acquiert richesses et notoriété et se rapproche du régime, il devient même acheteur pour le projet de musée d'Hitler.

Après la guerre : sa collection est confisquée par les alliés (Monuments Men), enfin seulement 10%, il a caché le reste !

1948 : il est blanchi et réutilise son réseau et retrouve du travail à Düsseldorf en 1949.

1950 il récupère même les 10% confisqué.

Il continue ses acquisitions au moins jusqu'à 1952 avec l'obsession de reconstituer sa collection.

En 1966, l’épouse d’Hildebrand Gurlitt déclarait aux autorités que l’ensemble de cette collection, avait été détruit dans le bombardement de leur maison à Dresde en 1945. Ainsi dissimulés, les biens ont ensuite pu être transmis au fils du couple, Cornelius Gurlitt

Arrêté avec de faux papiers par les douaniers allemands en 2010 à son retour de Suisse, Cornelius Gurlitt fait alors l’objet d’une enquête pour fraude fiscale. Lors de la perquisition de son domicile à Munich, la police découvre près de 1500 tableaux et dessins, parmi lesquels des œuvres de Chagall, Picasso, Renoir, Cézanne ou Matisse. Très vite, on soupçonne qu’une partie de la collection héritée de son père, environ 500 à 600 œuvres, aurait été constituée grâce à la spoliation des Juifs sous le IIIe Reich. Hildebrand Gurlitt avait, en effet, été missionné par Joseph Goebbels pour vendre des œuvres d’« art dégénéré » ou spoliées à des familles juives.

Dissimulée pendant un an par la police allemande, l’affaire Gurlitt n’éclate qu’à la fin de l’année 2013 et fait alors scandale. Quelques mois plus tard, Cornelius Gurlitt décède à Munich et lègue l’ensemble de sa collection au Kunstmuseum de Bern (Suisse) qui s’engage à poursuivre le travail d’identification et de restitution des œuvres spoliées. Les 500 œuvres litigieuses sont conservées en Allemagne.

Il y a un avant et un après la découverte de la collection en 2012

Le Kunstmuseum Bern présente sous le titre «L'art dégénéré» près de 160 œuvres. Il s’agit principalement de travaux sur papier, parmi lesquels des oeuvres exceptionnelles, expressionnistes, constructivistes et de la nouvelle objectivité.

Grâce au travail de la German Lost Art Foundation, 14 œuvres réputées spoliées issues de la collection Gurlitt ont à ce jour pu être identifiées avec certitude et restituées à leurs propriétaires, ou à leurs ayants-droit. Ceci s’explique par le fait que la plupart d’entre elles ont un historique trouble et que, en Allemagne, le délai de prescription après lequel la propriété d’une œuvre d’art ne peut plus être contestée est de 30 ans.

Le dessin de Carl Spitzweg, intitulé Das Klavierspiel, est le dernier de cet ensemble à être restitué.

Das Klavierspiel (1840), montre une scène de vie avec un style assez intimiste : un couple joue de la musique et une vieille dame l’écoute dans un fauteuil en fond. L’ombre projetée prend cependant une forme inquiétante, les cornes rappelant un diable ou un faune. ce petit dessin au crayon sur papier, pourrait sembler insignifiant s’il n’avait pas un passé aussi tragique. Exécuté autour de 1840 par Carl Spitzweg (1808-1885), poète et peintre munichois, il fut en effet volé par le régime nazi à l’éditeur de partitions juif Henri Hinrichsen en 1939 et que Hildebrand Gurlitt, a ensuite escroqué l’éditeur en 1940 en déposant l’argent de la vente du dessin sur un compte bloqué. Hinrichsen ne put donc pas récupérer l’argent et mourut à Auschwitz en 1942.

L'Allemagne a restitué à ses propriétaires l'ensemble des 14 oeuvres d'art du collectionneur Cornelius Gurlitt identifiées comme ayant été volées à des juifs sous le IIIe Reich, a annoncé mercredi 13 janvier le ministère de la Culture.Le ministère de la Culture allemand a annoncé que le dessin, la dernière des 14 pièces spoliées avérée, vient enfin d’être restitué après un long processus d’expertise. Les héritiers de l’éditeur Hinrichsen, auxquels il a été restitué, ont souhaité le mettre aux enchères l’œuvre et l’ont confié à la maison de ventes Christie’s, qui n’a pas souhaité commenter ce sujet. De son côté, la ministre allemande de la Culture, Monika Grütters, s’est réjouie de cette restitution. « Nous ne pouvons pas réparer les immenses souffrances. […] Mais nous essayons de contribuer à la justice et d’assumer notre responsabilité morale », a-t-elle déclaré.

*L'histoire vraie des Monuments Men

Constituée de près de 350 hommes et femmes issus de treize nationalités différentes (avec une prédominance des Anglo-Saxons), cette unité comptait majoritairement dans ses rangs des conservateurs de musée, des historiens et des archivistes d'une quarantaine d'années inaptes au combat.

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