La chauve-souris
11 avril 20153 minutes
La chauve-souris
11 avril 20153 minutes
Voici les trois versions du souvenir d'enfance que j'ai choisi de raconter :
texte sobre :
Nous allions acheter le pain. Quelques personnes étaient arrêtées. Elles se montraient quelques chose. Nous nous approchâmes et nous vîmes : une chauve-souris. Certains avaient peur, d'autres étaient dégoûtés. Tous étaient curieux. Nous finîmes par repartir. Au retour, elle avait disparu.
texte "à la façon de Proust" :
Sous l'azur profond d'un ciel d'été, comme un dai somptueux et soyeux d'un grand lit à baldaquin, nous allions acheter le pain, qui , dans ces campagnes reculées, était forcément une miche ronde, craquelée, cuite au feu d'un bois sec, noueux et odorant ; la mie fraîche, dense et légèrement bise, sans doute par ajout d'un peu de seigle, céréale reine de ces sols pauvres ; et la croûte sombre quadrillée et saupoudrée de farine qui s'éparpillait sur nos vêtements et nos peaux hâlées. Avant d'arriver au petit village niché au creux de la colline arrondie et boisée, après la courbe d'un virage serré de la petite route sinueuse, poussiéreuse et d'habitude déserte qui menait à la boulangerie traditionnelle et vieillotte, uniquement ouverte pendant la période estivale, quelques personnes , des touristes en tenue légère, à toutes les étapes du bronzage, du rosé des premiers jours au rouge brique des aficionados du soleil en passant par les bruns plus ou moins pain d'épice, sans oublier les peaux tachetées de son ou encore blanches, étaient arrêtées, sous l'ombre ondoyante, rafraîchissante et bienvenue d'un arbre centenaire qui élevait sa ramure avec élégance et étalait son feuillage fourni en une corolle géante.. Elles se montraient quelques chose invisible encore à nos yeux, intrigant et rare à en juger par l'effervescence du petit groupe qui échangeait des propos excités et nous adressait de grands gestes désordonnés semblant nous inviter à approcher sans bruit, malgré le niveau sonore élevé de leur discussion. Nous nous approchâmes et nous vîmes, minuscule, recroquevillée et sûrement terrorisée, une créature d'un gris délicat, à moins que ce ne soit la couleur taupe, agrippée par ses ailes de cuir noir au tronc ridé du vieil orme : une chauve-souris. Certains, parmi les plus jeunes mais aussi parmi celles qui avaient les cheveux longs et craignaient stupidement que le petit mammifère nocturne tétanisé irait s'y accrocher, avaient peur, d'autres étaient dégoûtés, sans doute les plus citadins ou les plus superstitieux : cette pauvre bête a une sale réputation. Tous étaient curieux. Je m'enhardis à l'effleurer, d'une douceur infinie sa fourrure haletait au rythme de sa respiration apeurée. Le petit groupe se disloquait, d'autres personnes attirées par l'attroupement se dirigeaient, intriguées, vers nous. Nous finîmes par repartir. Au retour, après avoir discuté de l'évènement avec les clients attentifs de la file d'attente, sous le regard indulgent de la boulangère, qui, habitant dans le village, avait une grande habitude des chauves souris, animal commun au possible, résidant dans les greniers des maisons vides et le clocher de l'église romane, souriait de l'émerveillement que cet unique spécimen provoquait, elle avait disparu.
texte "à la façon de Céline"
Nous allions acheter le pain et sur le chemin nous rencontrâmes la stupidité humaine. Quelques personnes regardaient une chauve-souris égarée, accrochée à un arbre près du chemin. La superstition sert d'imagination à la populace. En groupe la bêtise s'épanouit et la petite assemblée s'en rassasiait à qui mieux mieux, accusant la chauve-souris de tous les maux. Déjà l'un d'entre eux avait ramassé une pierre. Lâches comme le sont les enfants nous passâmes au large. Au retour, elle avait disparu.