Depuis toujours je fuis. Dans les bras de ma mère qui m'enroulait dans son châle pour me protéger des vents violents dans les grandes steppes arides. Accrochée à la main de mon frère ensuite, tout au long de ces années, tout au long de ces chemins où le vent printanier embaumait d'églantine. Puis seule hélas quand ma famille fut décimée par des bombardements ou dispersée par des chars. J'ai senti le vent glacial dans les grandes villes inhumaines où toujours il fallait se cacher. J'ai échoué à plusieurs reprises dans ces camps de réfugiés loin de tout et dont les toiles de tentes claquaient sous les orages. Je me suis jointe à des groupes plus ou moins organisés, plus ou moins effrayés mais de poursuites en passages clandestins je les ai tous perdus.
A force de continuer à aller plus loin, je suis arrivée au bout de la terre.
Devant moi, la mer, infinie. Infinité de teintes grises et vertes, infinité de mouvements, de vagues et de marées. Infinité de possibilités : de gros cargos lourds et mal surveillés où je pourrais embarquer, multiples embarcations de pêcheurs qui pourraient avoir pitié de moi ou vouloir de l'argent et aussi l'oubli définitif dans la noyade. C'est moi qui choisis.
Le vent souffle et la mer forcit. Les bourrasques soulèvent ma robe en lambeaux et emmêlent mes cheveux. J'aime ce souffle marin, salé qui me secoue et nettoie mes idées noires. J'ai bien remarqué l'homme, bien habillé, qui a passé beaucoup de temps à m'observer son carnet de croquis à la main. Délibérément je lève les bras, comme pour discipliner ma chevelure. Je vois sa main qui crayonne frénétiquement. Je garde la pose un moment puis je m'approche. Il me sourit. Je pourrais peut-être continuer mon errance moins seule.