Conte de Noël

15 décembre 20253 minutes

Et voila le retour de la période de Noël, comme tous les ans en fait. Certaines années, ça va. J'apprécie l'effervescence dans les rues et les magasins, l'air affairé et joyeux des passants. Je me mets au diapason : Je décore ma modeste boutique. Enfin, je sors mon unique guirlande de la réserve et le lutin cordonnier, comme moi, que j'ai acheté il y a des années. Ses couleurs ont passé mais allumé, il fait illusion, comme moi. D'autres années, non, ça ne va pas. Je n'ai jamais cru au Père Noël, d'aussi loin que je m'en souvienne. Alors la joie me parait factice et toute cette électricité gâchée me navre pour la planète. Ces années là, je ne change rien à ma vitrine et je réduis mes horaires ! De toute façon cordonnier, ce n'est pas un métier saisonnier et je n'ai pas plus d'impératif en décembre qu'en juillet. J'ai toujours vécu seul avec beaucoup d'amis. Mais pour les fêtes de Noël, la famille prime et mes amis sont peu ou pas disponibles. Pour moi le vingt-cinq décembre est un jour comme les autres. Et puis avec les années mes amis se sont dispersés ou pire sont morts. Cette année, particulièrement, je me sens seul, malgré le lutin qui clignote.

Aujourd'hui, je n'ai pas ouvert. J'accroche le panneau "Fermeture exceptionnelle", je descends le rideau métallique et je m'en vais. Allez, direction les grands magasins, débauches de lumières, de décorations et de marchandises. Une vitrine attire mon attention : un décor d'Afrique en carton-pâte, canoë coloré, palmiers peuplés de singes automates et de perroquets chamarrés ! Et si j'allais en Afrique ? Moi qui n'ai jamais franchi la barrière des périphériques ! Je repère une agence de voyage et j'y entre. Un Père Noël en carton, grandeur nature, sirote un cocktail de papier glacé face à une mer de rêve. L'employée est fort occupée avec un jeune couple qui envisage un tour du monde. Je prends le catalogue "Promotions de Noël", je passe rapidement les destinations romantiques : Venise, Vienne,... ou asiatique : Thaïlande, Viêt-Nam,... Ah voici les réveillons africains : safari au Kenya, exploration du Kalahari, ascension du Kilimandjaro, vignobles d'Afrique du Sud... Ah "Noël à Dakar entre traditions peules et messe de minuit". Je commence à lire le programme des quatre jours de festivités quand la jeune femme s'adresse à moi. Elle voit ce que je lis et m'annonce déjà que les promotions sont presque toutes pleines. Elle pianote sur son clavier et le sourire aux lèvres rectifie : il reste quelques rares places pour le Sénégal. Est-ce que j'ai un passeport ? Elle peut s'occuper du visa si je lui amène aujourd'hui avant dix-sept heures, parce que, quand même, Noël c'est dans une semaine. Non je n'ai pas de passeport. Elle reste muette pendant quelques secondes avant de me proposer une destination européenne, dans l'espace Schengen il suffit d'une carte d'identité… valide. La mienne est périmée depuis plus de dix ans ! Elle cille mais enchaîne courageusement : La Savoie, la Bretagne ?

Ben, moi, je voulais aller en Afrique. Tout mon élan est parti, cassé. Je remercie, laisse le catalogue et sors, voûté, de l'agence. Je rentre à petits pas, déçu. Oh et puis, je m'en fiche, pour Noël, je m'achèterai des bananes !

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  2. Noël

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    06 décembre 20252 minutes

    Ecrire c'est faire sortir les choses de l'oubli.  J'ai essayé de raconter mon histoire qui est aussi celle de mon peuple, peuple de tradition orale, mais les quelques personnes qui m'ont écouté n'en ont rien fait, rien retenu, rien appris. Ils restent à la surface exotique, esthétique, ethnographique des choses. Les couleurs, les motifs, les rituels oui mais pas leur signification et l'harmonie du monde est rompue. Je ressens au plus profond de moi un devoir de mémoire et de transmission. J'ai vécu en semi-nomade dans la forêt luxuriante, au gré des changements de la nature, profondément uni à mon animal totémique, le jaguar. J'ai consommé les plantes qui permettent l'accès aux différents niveaux de conscience. Je ne suis pas chaman e je n'ai jamais atteint le niveau des morts mais celui des végétaux et des animaux si, souvent. Je sais que je le pourrais encore si j'avais accès aux herbes nécessaires. Ce ne sont pas des rêves engendrés par la drogue comme le pensent les esprits étroits  et scientifiques mais bien une perception accrue du monde qui nous entoure, l'accès aux niveaux de conscience universels auxquels la rationalité et le pragmatisme ferment les portes. Je constate avec tristesse que ceux qui ne parviennent pas à cette communication, cette communion, deviennent matérialistes, aigris, agressifs. Ma tribu a été chassée de la forêt qui a été abattue. Nous avons été bien traités : vaccinés, regroupés en immeubles communautaires, éduqués et intégrés. La plupart d'entre nous ont un emploi dans le cadre de la politique d'insertion volontariste du gouvernement. Et voilà que nos jeunes ressentent un grand vide spirituel et hésitent entre suicide et consumérisme. C'est à nous, les aînés, de restaurer les forces telluriques nécessaires à notre peuple perdu. J'ai réuni les anciens et nous avons fumé ensemble. Sans arriver à l'état supérieur, nous avons quand même réussi à nous organiser. Nous apprendrons à tous ceux qui veulent nos coutumes et comment réaliser nos tatouages spécifiques et celui qui sait écrire rédigera nos histoires, décrira nos danses, écrira les recettes des boissons hallucinatoires. Nous créerons la Bible de notre peuple.

    1. Atelier
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    01 décembre 20253 minutes

    Un rayon de soleil me chatouille le nez et je me réveille en éternuant et je souris ! Depuis cinq ans que je me suis installé ici, je ne réalise toujours pas que le soleil est immuable et que le ciel est bleu comme hier et comme demain. La grisaille et la pluie indissociables de mon enfance continuent à me poursuivre dans mes rêves et dans mes souvenirs. Chaque matin, en ouvrant les volets peu hermétiques de ma paillotte derrière l'hôtel, je remplis mes poumons d'air pur et fragrances tropicales. Des oiseux colorés, encore exotiques à mes yeux, zèbrent l'azur et se réfugient à l'ombre des palmiers. Quand je repense aux quelques moineaux frileux se pelotonnant sur les fils électriques, mon cœur se gonfle de bonheur ! Je n'oublierai sans doute jamais l'humidité persistante des quartiers miniers de mon Ecosse natale. Les pieds mouillés en permanence, la vapeur d'eau qui s'échappait de nos silhouettes quand nous pénétrions dans classe mal isolée ou plus tard dans un pub sombre et enfumé. Ici l'eau est limpide que ce soit les cascades cristallines qui dévalent les flancs du volcan ou le lagon turquoise à peine troublé par le passage de bancs de poissons. Enfants, l'été, nous allions deux ou trois jours sur la côte où une mer peu engageante déployait cinquante nuances de gris et où s'avançait jusqu'à hauteur des genoux, relevait déjà de l'exploit ! Ici les enfants plongent et dansent avec les dauphins et se rincent dans le ruisseau tout proche. Là bas l'avenir était tout tracé : mineur de père en fils, contremaitre le but ultime, le Graal. Echapper à cette destinée était le rêve de tous : foot ou rugby pour les garçons, chant ou mannequinat pour les filles. Que de déceptions ! Personne n'est jamais sorti suffisamment du lot pour nous servir de modèle.  Il faut dire que nos professeurs se contentaient de peu et ne nous poussaient pas beaucoup. Les entraîneurs étaient encore enthousiastes à la recherche du prochain prodige. Evidemment depuis que mon père, ivre, avait jeté la voiture, et nos espoirs, contre un arbre, mon état ne me permettait plus d'entretenir la moindre illusion sportive ! Orphelin, recueilli par un oncle mineur dont les cinq enfants suivaient sans entrain l'ornière de leur avenir, je me suis mis à étudier. Que faire d'autre ici, où si vous ne jouait ni au foot ni au rugby et êtes incapables de danser, vous n'avez aucun ami ? J'avais la réputation d'être rabat-joie (c'est à dire triste) et de porter malheur (puisque mes parents étaient morts). Je savais que mon oncle ne me garderait que jusqu'à seize ans, jusqu'à l'arrêt des versements de l'assurance vie. Je décrochais une bourse et un boulot de caissier et partis étudier à Glasgow, ville triste, grise et pluvieuse. Une fois diplômé en climatisation, conditionné par mon enfance et mon milieu, je postulais "naturellement" pour un poste dans une mine pour la régulation de l'air dans les parties souterraines. Curieusement la découverte de pétrole en mer du Nord changea radicalement ma vie. Le poste que je visais fut supprimé et les perspectives d'emploi dans l'industrie du charbon s'amenuisèrent. Dans le cadre d'un partenariat avec l'école des mines de Saint Etienne, je participai à un forum de l'emploi où un grand groupe hôtelier cherchait des spécialiste de la climatisation pour leurs complexes touristiques du bout du monde, peu de candidats, je fus retenu. Je reçus un complément de formation à Antibes de six mois. Je découvris alors un autre monde, la Méditerranée bien sûr, mais aussi des gens souriants, ouverts et curieux. Je me fis, enfin, mes premiers amis. Après cette période de transition, mon employeur m'envoya ici, une île paradisiaque et isolée dans le pacifique. Depuis cinq ans, je ne me lasse ni du soleil constant, ni du bleu, des bleus plutôt, qui m'environnent. Et pourtant, sur ma table de nuit, ce cliché où un bâtiment industriel hideux se devine dans un brouillard dense : l'entrée de la mine de mon enfance.

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    Je me souviens encore avec émerveillement du spectacle que je suis allée voir, alors que j'étais au collège, à la cartoucherie de Vincennes : 1789.. Ce sont nos professeurs de français et d'histoire qui nous y avaient emmenés. Nous y étions allés en car et étions arrivés de nuit. Aussi je ne me souviens pas de l'extérieur, pas de lumières éclatantes, une foule se déplaçant du parking au bâtiment dans la pénombre. Nous sommes entrés dans une grande salle de type hangar sans gradin, sans place numérotée et pas non plus de rideaux, de côté cour ou côté jardin, pas de scène et pas de quatrième mur. En fait plusieurs estrades étaient disposées et des scénettes étaient jouées sur l'une, ou plusieurs, d'entre elles. Je ne crois pas qu'il y avait une trame narrative. Nous n'étions pas des spectateurs, nous étions le peuple, témoin essentiellement et un petit peu acteur, participant à tout le moins. Je me souviens des cahiers de doléances : quelques paysans venaient exprimer, dans un français approximatif leurs demandes modestes, moins d'impôts sur les récoltes, moins de chasse avant les moissons ...e villageois instruit prenait consciencieusement des notes, qu'il déchirait dès leur départ pour les remplacer par ses propres demandes, moins d'impôts sur les échanges commerciaux, plus de sécurité et il portait son parchemin au nobliau local qui... le déchirait dès son départ pour envoyer au député local ses propres doléances ! Plus tard pour le 14 juillet (probablement celui de 1790) des stands de fêtes foraines d'antan étaient apparus et nous étions incité à y participer, lancer d'anneau, marteau, loterie... J'y ai gagné une petite cocarde tricolore que j'ai conservé des années. Je me souviens de la violence de certaines scènes. Les sans-culottes parcouraient l'espace et nous haranguaient pour nous convaincre d'éliminer nobles et clergé. Nous étions incités à crier et à nous déplacer d'un point à un autre. Des chants révolutionnaires éclataient de ci de là (les aristocrates à la lanterne), des coups de feu ont été tirés. Une fois terminé, je me sentais vidée, comme si tous mes sens avaient été surchargés, comme si j'avais remonté le temps et touché du doigt l'esprit de la Révolution : enthousiasme brouillon et violent, joyeux et dramatique.

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    10 novembre 20253 minutes

    Son désir fou était de trouver le chef d'œuvre ultime. Au fur et à mesure de ses voyages professionnels, il se fit une obligation de visiter les plus grands musées du monde. Uniquement les collections permanentes. il eut la chance d'être envoyé à Saint Petersburg (L'Hermitage), à Londres (National Gallery), au Caire et à New York mais aussi à Albi (Toulouse-Lautrec), Oslo (Munch), ou à Seattle (rien à signaler). A chaque fois il se renseignait consciencieusement sur les chefs d'œuvres patentés, estampillés et peu à peu il mit au point un système de notations complexe incluant, entre autres,  la rareté, la notoriété et la valeur pécuniaire mais cela n'était pas satisfaisant. La pierre de Rosette (British Museum) par exemple, aussi unique soit elle, n'était pas belle et d'ailleurs ce n'était même pas une œuvre d'art. Les côtes des œuvres fluctuaient beaucoup trop en fonction des modes ou des actualités. Du coup, le paramètre "ça me plait" prit une plus grande importance dans son équation. Il essaya d'ajouter l'avis de quelques amis mais il n'arrivait jamais à un consensus, bien au contraire, il faillit en perdre quelques uns au cours de discussions polémiques ! Il retira ces critères "amicaux" : les critères objectifs et sa seule subjectivité compteraient. Après un réveillon bien arrosé, il faillit se décourager et tout abandonner : ses hôtes remettaient en question son champ de classification : alors selon toi,  la musique ne comporterait aucun chef d'œuvre ? Et la littérature ? Et le cinéma ? Après une grande remise en cause de son projet, il décida, dans un premier temps, de trouver le chef d'œuvre ultime restreint aux peintures, sculptures et objets précieux. Il avait déjà noté et classé une liste impressionnante. Les variations qu'il apportait à son système de paramètres pondérés ne lui facilitait pas la tâche. Il finit par figer sa méthode après plus de quinze ans de tâtonnements. Ce fut un grand jour. Il vérifia ses milliers de références et ne retint que les cent premiers. Comme il était devenu vieux, il ne se déplaçait plus et utilisait internet pour vérifier telle  ou telle œuvre citée dans un article ou vue dans une émission et lui appliquait sa notation et l'éliminait sans regret si elle n'atteignait pas la centième place. Un jour pourtant, il découvrit au musée national de Budapest un ange en bois polychrome, moyenâgeux, de toute beauté mais même avec la note maximum dans la colonne "ça me plait", il n'atteignait que la place deux cent deux ! Il recommença alors à modifier les pondérations mais ce n'était pas si facile tellement le système était devenu sensible. Sur un essai malheureux, aucun des cent premiers n'était vraiment connu et pire aucun ne lui plaisait. Il en devenait obsédé, mangeait peu, dormait mal et tomba malade gravement ! Sur son lit de mort il déclara : " Je reste inconsolable de ne pas avoir trouvé mon chef d'œuvre préféré". Ceci dit beaucoup d'étudiants et de chercheurs dans le domaine de l'histoire de l'art se servent encore de son système de notation.

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  5. Moi slameur

    08 novembre 20252 minutes

    Moi slameur, je joue tous les jours autour des mots d'amour, partout, toujours. Moi slameur, je parais, disparais, stupéfait, dans des palais dorés, rêvés, entourés de pales haies, bordés de galets, habités de valets et de chevaliers. Moi slameur, je prends les devants, tremblant cependant devant le blanc étincelant du banc des perdants, sachant le vent violent des ouragans des gagnants ************** Je dis oui mais en dedans je suis absent. Tu gesticules dans le vestibule, tu articules à grands renforts de mandibules. Je suis parti sur les volutes de la bouilloire loin du couloir ivoire et de l'armoire noire. Au milieu des coquelicots, sur le dos, un coq lit coquettement des libelles aux libellules qui bousculent leurs ailes de tulle. Tu brises ma bulle, balance mes bagages, balaie mes bêtises, me bannis.

    1. Atelier
    2. Slam